FORUM - 3 AVRIL 2000

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Programmes d'équité en emploi et coercition

Ces programmes n'atteignent pas leurs buts sans la présence de certaines contraintes.

Martine Otou

Christopher McAll

Gisèle Picard

Émile Ollivier

Les programmes d'accès à l'égalité en emploi pour les femmes ont commencé à être pris au sérieux par les employeurs à partir du moment où ils ont fait l'objet d'une loi. De même, les programmes d'équité en matière d'emploi à l'intention des autochtones, des personnes handicapées et des minorités visibles restent pour ainsi dire lettre morte lorsqu'ils ne sont pas assortis de contraintes.

C'est d'ailleurs sous la menace de sanctions que l'Université de Montréal a dû apporter des correctifs à son plan d'équité en matière d'emploi afin d'accélérer l'intégration de ces trois populations cibles. Les objectifs numériques qu'elle s'est donnés dans son plan ont satisfait aux exigences du Programme d'équité en matière d'emploi du gouvernement fédéral, qui lui a remis un certificat de conformité. Sans ce certificat, les chercheurs risquaient de se voir refuser des subventions de recherche, l'Université ne pouvant faire la preuve qu'elle tente de répondre aux exigences du Programme des contrats fédéraux et à la Loi fédérale sur l'équité en matière d'emploi.

C'est sur ce constat que s'est terminée la table ronde sur les conditions et les moyens d'accès à la participation égalitaire, qui se déroulait le 23 mars dernier. Elle avait été organisée par le Comité d'implantation des programmes d'accès à l'égalité de l'Université de Montréal et par Vivre ensemble dans le cadre de la Semaine contre le racisme et la discrimination.

Cette table ronde, où l'absence de représentants de la direction a été plusieurs fois déplorée, visait d'abord à faire connaître au public en général et à la communauté universitaire en particulier les mesures mises sur pied par l'Université de Montréal pour promouvoir l'accès à l'égalité.

D'abord comprendre
Pour agir contre le racisme, il faut d'abord comprendre l'autre, a constaté Christopher McAll, professeur au Département de sociologie et directeur du Programme de recherche sur le racisme et la discrimination.

La reconnaissance de l'autre se fait difficilement dans une société basée sur l'individualisme et les chasses gardées, a ajouté le sociologue, qui remarque que l'impact des programmes d'accès à l'égalité ont des résultats mitigés dans le cas des minorités.

En ce qui concerne les étudiants, "l'Université de Montréal offre des services très diversifiés, sans distinction de couleur ou de sexe", signale Martine Otou, étudiante au doctorat en droit et coordonnatrice de Vivre ensemble. Pour ce qui est du recrutement, il y a toutefois place à beaucoup d'amélioration, selon Mme Otou. "La volonté politique est là, mais l'Université de Montréal doit aller jusqu'au bout", affirme l'étudiante. Il faut, ajoute-t-elle, qu'elle établisse des programmes d'équité en emploi et d'équité salariale pour les minorités visibles comme elle l'a fait pour les femmes et les personnes handicapées. Elle doit aussi se doter d'une structure permanente d'évaluation pour s'assurer que ces programmes seront appliqués.

Discrimination systémique
Gisèle Picard, présidente du Comité d'implantation des programmes d'accès à l'égalité, a précisé que le plan d'action de l'Université de Montréal en matière d'équité en emploi visait à contrer la discrimination systémique, qu'elle appelle également "discrimination invisible" parce qu'elle est très difficile à cerner. "Nous prenons en compte ce qui vient avant, c'est-à-dire la formation puisque, sans elle, il n'y a pas de bassin de compétences, ce qui intervient pendant le processus de dotation des postes et qui mène au recrutement, ainsi que ce qui vient après l'embauche, c'est-à-dire l'intégration."

La coordonnatrice des programmes d'accès à l'égalité à la Direction des ressources humaines signale que la représentation des femmes à l'Université de Montréal est en proportion de leur présence dans la population active en général bien qu'elles soient sur- ou sous-représentées dans certains métiers ou professions. Cependant, la population active de Montréal est composée à 10% de membres des minorités visibles et à 3,9% de personnes handicapées qui ne représentent, respectivement, que 2,6% et 1% de l'effectif de l'Université de Montréal. Chez les autochtones, les proportions sont de 0,3% à Montréal et de 0,1% à l'UdeM.

À partir de ce constat a été élaboré un programme visant à sensibiliser la communauté universitaire à cette question, à modifier les politiques et les pratiques qui peuvent avoir un effet discriminatoire sur les groupes visés, à augmenter leur représentation par une révision des processus de sélection et de recrutement, à voir à leur intégration ainsi qu'à l'évaluation du plan d'équité afin de le rectifier au besoin.

Attentes de résultats
Cependant, certains critiquent l'objectif même du programme, remarque Mme Picard. "Un programme comme celui-ci, qui ne montre pas de résultats tangibles et mesurables, ne peut être considéré comme tel ni par la législation fédérale ni par l'obligation contractuelle, qu'elle soit québécoise ou canadienne, observe-t-elle. Or, des résultats sont attendus par le Programme des contrats fédéraux, organisme auquel nous devons rendre des comptes. À défaut de résultats concrets, nous devrons faire la démonstration de notre bonne foi et expliquer pourquoi nous n'avons pas atteint nos objectifs."

Mme Picard insiste pour dire qu'il s'agit bien d'objectifs numériques et non de quotas, ce dernier terme laissant supposer qu'on fait des entorses aux exigences des postes à pourvoir. "Tout le monde s'entend pour recruter des personnes compétentes", insiste-t-elle.

Depuis 1994, en vertu d'une mesure adoptée par le Conseil de l'Université, les comités de sélection doivent, à compétence égale, favoriser des femmes dans tous les secteurs où elles sont peu représentées. Chez les professeurs, l'obligation va même jusqu'à la nécessité de faire des efforts afin de joindre les candidates potentielles là où elles se trouvent pour les inciter à postuler. Dans le cadre du Programme des contrats fédéraux, cette obligation s'étend à tous les types de postes et non seulement aux professeurs.

Peur de la différence
Pour sa part, l'ombudsman Marie-José Rivest a rappelé que toute personne qui s'estime victime de discrimination peut s'adresser à elle.

"Mais l'appel à l'ombudsman doit être un dernier recours, a-t-elle précisé. La personne doit d'abord s'adresser à l'autorité de son unité." En 1998-1999, 11 cas de discrimination ont été soumis à l'ombudsman, ce qui constitue 2,3% des demandes qui lui ont été adressées l'an dernier.

Mme Rivest remarque qu'il y a aussi des cas de discrimination indirecte, comme la personne qui est dans l'impossibilité de se présenter à un examen le samedi pour des raisons religieuses.

"Faire la preuve d'une discrimination raciale est souvent difficile, note Mme Rivest. Agir sur les comportements ne change ni les préjugés ni les attitudes; il est donc préférable de recourir à des mesures préventives."

L'augmentation fulgurante des déplacements, y compris pour des raisons de travail, a fait ressurgir "la figure ambivalente de l'étranger" après deux siècles de grande sédentarisation, constate Émile Ollivier, écrivain et professeur à la Faculté des sciences de l'éducation. "Or, l'étranger, celui qui n'est pas du lieu, apporte avec lui la différence mais réveille également la peur de cette différence." Et "ces gens du Sud ont aussi des attentes, des demandes qui perturbent le lieu social" de plus en plus en mal de consensus.

Quant au racisme, toujours présent, il est devenu davantage insaisissable et subtil, selon M. Ollivier. "Il se terre dans les fils les plus intimes du tissu social", ajoute le professeur. C'est pourquoi les mesures de formation et de reconnaissance sociale sont nécessaires. C'est pourquoi, il faut également revoir les règles de fonctionnement des établissements pour s'assurer que tous sont égaux en matière d'emploi.

Françoise Lachance


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