FORUM - 27 MARS 2000

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Best-sellers à l'affiche

"Aussi noble soit-il, le livre fait partie d'une industrie", déclare Claude Martin.

Claude Martin ne s'intéresse pas qu'aux best-sellers. Pour lui, la culture s'exprime aussi par la musique et par les téléromans. Dans ces domaines, le succès est plus facile à cerner, car les industries du disque et de la télévision possèdent des données plus précises.

Qu'ont en commun le roman du terroir Les filles de Caleb, d'Arlette Cousture, la saga contemporaine Juliette Pomerleau, d'Yves Beauchemin, et l'autobiographie La détresse de l'enchantement, de Gabrielle Roy? Ce sont des best-sellers, révèle Claude Martin dans une publication intitulée Ces livres que vous avez aimés: les best-sellers au Québec de 1970 à aujourd'hui.

Publié aux Éditions Nota Bene, l'ouvrage comprend une foule de renseignements sur l'industrie culturelle du livre. Un sujet qui intéresse le professeur du Département de communication depuis une vingtaine d'années. "Le phénomène de la 'best-sellerisation' n'est pas un fait nouveau, souligne-t-il. Au début des années 1960, les fascicules Les insolences du frère Untel se sont vendus à plusieurs milliers d'exemplaires. Mais le Québec ne s'est mis à travailler en fonction du succès des ventes que depuis les années 1970."

L'industrie du livre a alors adopté des stratégies de rentabilité. Le best-seller, soit le livre qui se vend mieux que les autres, est devenu la locomotive des éditeurs. Il permet aux auteurs plus marginaux de trouver preneur.

La recette du succès
Existe-t-il une recette pour écrire un best-seller? "Oui, répond Claude Martin, mais elle n'est pas facile à appliquer. J'ai beau connaître les ingrédients, cela ne fait pas de moi un écrivain à succès. Cela dit, la majorité des livres à grand tirage sont écrits par des romanciers reconnus."

Il y a, bien entendu, des exceptions. "Ce sont des imprévus", comme le dit M. Martin. Par exemple, Le Petit Prince retrouvé, de Jean-Pierre Davidts, s'est vendu à plus de 20 000 exemplaires. Autre exemple: Et si c'était vrai..., de Marc Levy, qui sera prochainement adapté au cinéma par le réalisateur américain Steven Spielberg après avoir connu un succès monstre à la foire de Francfort. "Quel est votre secret?" demandait dernièrement l'animateur Bernard Pivot à l'auteur. Invité à l'émission française Bouillon de culture pour raconter son étonnante histoire, Marc Levy n'en savait trop rien. Il s'agit de son premier roman!

Une formule existe néanmoins, selon Claude Martin. "Le best-seller correspond généralement à un certain type de bouquin: c'est une nouveauté d'environ 300 pages dont la structure est classique et dont la thématique aborde les préoccupations d'un grand public. On y met en scène un ou des personnages qui traversent des épreuves et qui, très souvent, finissent par les surmonter."

Certains spécialistes prétendent qu'il s'agit d'une écriture particulière, indique le professeur en faisant référence au fait que la littérature de masse souffre parfois du même problème de valorisation que le roman d'amour. M. Martin rectifie très vite le tir. "Un auteur peut s'adresser à un public plus large sans nécessairement faire un travail médiocre. Évidemment, si un auteur explore les formes littéraires, l'ouvrage correspondra à un lectorat plus restreint. Mais ce n'est pas parce qu'un écrivain fait de l'avant-garde qu'il est bon. Et l'inverse est aussi vrai."

Une tyrannie des best-sellers?
Selon les dernières statistiques, 43% des Québécois ne lisent jamais ou très rarement. Ce faible taux de lecture n'inquiète aucunement le professeur Martin. "Devant la diversité de produits - dont la télévision, que les gens regardent en moyenne trois heures par jour -, on devrait plutôt se réjouir que plus de la moitié de la population lise."

Un problème préoccupe toutefois le chercheur: la faible scolarisation des garçons. À son avis, il faut trouver le moyen de les motiver à retourner à l'école et de leur donner le goût de lire. Pour l'instant, les garçons sont minoritaires chez les lecteurs de romans. Les lectrices scolarisées représentent 70% des consommateurs de best-sellers. Mais la lecture n'est pas réservée aux plus fortunés. Les meilleurs vendeurs sont lus par diverses classes sociales, précise le chercheur.

Malgré tout, l'industrie québécoise du livre est relativement prospère, estime Claude Martin. "Si chaque bouquin touche un nombre restreint de personnes, l'ensemble des publications atteint beaucoup de monde." Voilà pourquoi les éditeurs font imprimer 1000 exemplaires et moins à la fois. Au Québec, on considère d'ailleurs un titre comme un succès commercial à partir de 5000 ventes. "On lit les livres des éditeurs d'ici dans la mesure où le produit s'adresse à un large public!"

Le best-seller uniformise-t-il ce que les gens lisent? Oui et non, croit M. Martin. "À partir du moment où il existe certains modèles, il est clair que le marché va tenter de les reproduire. Mais cela n'est pas inhérent aux produits culturels ni propre aux livres. De plus, le raffinement des techniques de production fait en sorte qu'il y a une plus grande quantité et davantage de bouquins publiés. On ne peut donc pas parler d'homogénéisation."

Par ailleurs, le fait de commercialiser des livres qui s'adressent à la masse permet de publier des ouvrages plus spécialisés au tirage plus limité, signale M. Martin. Selon lui, les titres québécois représentent 40% des parts de marché des best-sellers francophones. Il s'agit essentiellement d'ouvrages pratiques comme des guides de voyages et des livres de recettes.

"Les libraires excluent ce type de publications des listes de best-sellers, déplore le chercheur. Souvent, ils évitent même d'inclure les livres de poche et les dictionnaires. Résultat? Il devient difficile de mesurer le succès littéraire, car les listes ne représentent pas la réalité du marché."

Le phénomène de la 'best-sellerisation' est d'autant plus difficile à cerner que le réseau de distribution du livre est vaste et éclaté. Outre l'achat en ligne et les clubs de livres tel Québec-Loisirs, on peut acheter des bouquins dans des endroits aussi inusités que les pharmacies, les dépanneurs et au Club Price, un grand vendeur de best-sellers.

Un autre problème se pose dans l'élaboration des listes: le manque de collaboration des éditeurs, dont le dévoilement des données repose sur leur bonne volonté. Le hic? "La culture du milieu a pour mot d'ordre d'entretenir le secret commercial ou de mentir en exagérant les ventes, affirme Claude Martin. Évidemment, dire qu'un livre se vend très bien représente en soi un argument de vente et un attrait pour les gens!"

Peut-être faudrait-il jauger les livres en fonction de leurs répercussions sur les gens plutôt qu'à partir de leur succès sur le plan des ventes, souvent assimilables aux stratégies de marketing des éditeurs. "Même si les listes ne permettent pas de repérer tous les best-sellers au Québec, elles sont assez représentatives du marché pour faire une analyse de la littérature populaire", conclut le chercheur.

Dominique Nancy


Claude Martin et autres, Ces livres que vous avez aimés: les best-sellers au Québec de 1970 à aujourd'hui, 2e édition, Montréal, Nuit Blanche éditeur (Nota Bene), 1997, 351 pages, 14$.


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