FORUM - 6 MARS 2000Donner du sens aux mathématiquesUne équipe de chercheurs a conçu une calculette défectueuse pour amener les élèves à donner un sens aux calculs.
Si une tablette de chocolat coûte 2,99$, combien faudra-t-il débourser pour 24 tablettes? De nos jours, peu d'élèves parviennent à faire le calcul mental d'un problème arithmétique comme celui-là. La coutume, c'est de sortir la calculette. Mais qu'arrive-t-il lorsque certaines touches sont désactivées? Dans l'une de ses activités de recherche, Gisèle Lemoyne, professeure au Département de didactique de la Faculté des sciences de l'éducation, exige des futurs enseignants qu'ils utilisent réellement une telle calculette. Le procédé est simple. La professeure propose des calculs et indique les touches de la calculatrice qui sont désactivées. Exemple: 299 x 24; touches désactivées: 2, 9, +. À l'étudiant de se creuser les méninges pour trouver une solution. L'une d'entre elles: (300 - 1) x (8 x 3). "L'exercice se fait en équipes de deux étudiants et les calculs ne sont pas les mêmes d'une équipe à l'autre, explique Mme Lemoyne. Lorsque tous les étudiants ont effectué la tâche, ils examinent les descriptions des choix de l'ensemble des équipes. Ils doivent trouver les calculs correspondant à ces descriptions et les touches désactivées." Bon nombre d'étudiants doivent faire plusieurs essais avant de découvrir la réponse, souligne Gisèle Lemoyne. Pour la professeure, qui a collaboré à la mise au point de cette calculatrice défectueuse, l'outil informatique donne l'occasion d'appliquer et de construire des connaissances variées sur les nombres et les opérations. C'est dans le cadre d'une recherche sur les applications des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) à l'enseignement que des chercheurs du Groupe de recherche interdépartemental sur les conditions d'enseignement et d'apprentissage (GRICEA) ont conçu cet outil d'aide à l'enseignement. Mais la technologie, ce n'est pas tout. "L'enseignant doit s'efforcer de créer dans la classe une atmosphère qui favorise un véritable dialogue entre les élèves, signale Gisèle Lemoyne. Ces échanges d'idées les amènent à s'engager dans une série d'activités intellectuelles telles que le raisonnement, l'argumentation, la recherche et l'organisation de l'information." L'influence des idées préconçues La famille, la société et les médias sont autant d'influences dans l'apprentissage des mathématiques. En effet, un élève dont les parents perçoivent cette discipline comme étant difficile ou coupée de la réalité sera peu motivé à apprendre. "Lorsqu'on a devant soi des élèves qui ont des rapports problématiques avec les mathématiques, avec l'école, ou encore qui ont peu de motivation, il est essentiel de lancer à ces jeunes des défis intellectuels." Mme Lemoyne sait de quoi elle parle. Depuis plusieurs années, elle s'intéresse aux élèves qui éprouvent des difficultés d'apprentissage en mathématiques. "Ce sont ces élèves qui m'ont appris le plus sur la construction des connaissances en mathématiques", dit la professeure. En témoignent ses nombreuses activités de recherche avec le GRICEA, qui réunit des chercheurs de la Faculté des sciences de l'éducation. Un des axes importants de recherche de ce groupe: les transformations des conditions d'enseignement et d'apprentissage résultant du recours aux NTIC. Dans ces travaux, les NTIC constituent à la fois un objet d'étude et un dispositif de recherche. Outre Mme Lemoyne, l'équipe de recherche qui a collaboré au projet de la calculette défectueuse se compose de Jean-Marie Van der Maren, codirecteur du GRICEA; Sophie René de Cotret et Louise Poirier, professeures au Département de didactique; et François Brouillet, analyste-programmeur et étudiant en informatique. Dominique Nancy
Comment réagit l'élève devant un problème mathématique? À quoi attribuer les erreurs des élèves: difficultés d'apprentissage? lacunes de l'enseignement? Que révèlent les interactions enseignant-élève? Ces à ces questions que répondent des didacticiens du Québec, de France et de Suisse dans l'ouvrage Le cognitif en didactique des mathématiques. Sous la direction de Gisèle Lemoyne, professeure au Département de didactique, en collaboration avec François Conne, de l'Université de Genève, le collectif réunit les communications présentées au cours d'un symposium sur la didactique des mathématiques. La publication, parue l'automne dernier aux Presses de l'Université de Montréal, tombe pile. L'UNESCO a décrété que l'an 2000 serait l'Année mathématique mondiale. Selon Mme Lemoyne, un des défis de l'enseignement des mathématiques est d'amener les élèves à percevoir l'écriture mathématique comme une forme de langage et à traiter l'information comme s'ils lisaient un texte. Et elle prend l'exemple de l'algèbre. "On enseigne l'algèbre en proposant un traitement à reproduire, mais les élèves apprennent ainsi à résoudre les problèmes sans nécessairement en comprendre le sens." La transmission du savoir ne peut pas se faire de façon mécanique, soutient-elle. Les dispositifs d'acquisition des connaissances des mathématiques, de l'algèbre ou de la géométrie sont complexes et il faut chercher à en comprendre les processus. "On ne fait que commencer à s'attaquer à cette tâche, admet Mme Lemoyne. Avant, on se contentait de montrer les effets positifs de certains dispositifs. Dans aucun des cas, on ne pouvait définir les conditions d'enseignement et d'apprentissage, ni les effets de l'interaction entre le maître et l'élève." "Le pionnier de la didactique des mathématiques, Guy Brousseau, a montré comment les enseignants, au cours de leurs échanges avec les élèves, finissent souvent par 'souffler' la réponse qu'ils souhaitent obtenir." L'approche de M. Brousseau, professeur à l'Université de Bordeaux I, à qui l'Université de Montréal a décerné un doctorat honoris causa en 1998, est justement basée sur la présentation de problèmes à résoudre dont la solution exige de l'élève une adaptation des connaissances. Plusieurs autres défis animent la didactique des mathématiques et l'ouvrage en fait abondamment mention. Par exemple, une étude récente de Jean Portugais, professeur au Département de didactique, s'intéresse aux erreurs courantes des élèves en calcul arithmétique et à la manière dont les enseignants gèrent ces erreurs en classe. Le livre propose d'abord une synthèse des différentes théories utilisées en didactique. La seconde partie, de loin la plus intéressante, présente et analyse des situations concrètes d'apprentissage et d'enseignement. Cet ouvrage s'adresse aux chercheurs et aux étudiants diplômés en didactique des mathématiques. D.N.
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