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La maternité dans tous ses états

Hélène David prépare un documentaire sur les belles-mères des familles reconstituées.

L'intérêt d'Hélène David pour la psychologie de la maternité ne date pas d'hier. Déjà, à l'époque où elle préparait sa thèse de doctorat, elle avait choisi de suivre 20 femmes pendant leur grossesse et leur post-partum afin d'évaluer leur capacité de s'adapter à leur nouveau rôle de mère. Par la suite, elle exerce, pendant quatre ans, les fonctions d'experte psycholégale au Tribunal de la jeunesse. Son travail l'amène notamment à évaluer la capacité parentale de mères en difficulté: toxicomanie, maladie mentale, déficience intellectuelle, etc.

Puis, Hélène David s'intéresse aux mères qui ont tué leurs enfants et mène une recherche clinique sur ce phénomène. Plus tard, elle reprendra l'étude de la dépression post-partum en suivant 55 femmes en situation de détresse psychologique pendant les six mois suivant la naissance de leur enfant. Elle note chez ces femmes une profonde solitude, tant au cours de leur grossesse qu'après la venue de l'enfant.

La directrice adjointe du Département de psychologie a beau être une sommité en matière de psychologie de la maternité, elle considère qu'il est de première importance de mettre son savoir à la portée de tous. "Ce n'est pas parce qu'on est professeur d'université ou chercheur qu'on ne doit pas vulgariser son savoir. Au risque de me faire parfois reprocher de trop vulgariser, j'essaie de ne pas avoir cette langue de bois qu'adoptent trop souvent les gens qui travaillent en psychanalyse, mon domaine de spécialisation. J'ai d'ailleurs fait plusieurs chroniques sur la santé mentale à la télévision et je me soucie constamment de l'accessibilité des textes que je publie."

Enjeux sociaux
"Je ne suis pas de ceux qui passent de longues heures devant l'ordinateur à contempler des données. Je m'intéresse davantage aux enjeux sociaux et psychologiques, à la réalité de ce que les gens vivent. C'est d'ailleurs souvent dans le périphérique d'une recherche qu'on retrouve les véritables enjeux plutôt que dans les données de la recherche elle-même."

C'est sans doute dans ce même esprit qu'Hélène David a choisi d'explorer son nouveau sujet d'étude par le biais d'un documentaire qui passera sur les ondes de Télé-Québec à l'automne 2000. Toujours dans la lignée de son attrait particulier pour les sujets tabous, la psychanalyste a décidé récemment de se pencher sur ce rôle particulier et mal défini que de plus en plus de femmes sont appelées à jouer ces dernières années: celui de belle-mère.

Aujourd'hui, plus de 50% des familles nord-américaines sont des familles reconstituées, c'est-à-dire que l'un des conjoints ou les deux ont eu des enfants d'une union précédente. Ce phénomène relativement nouveau crée des situations qui sont parfois difficiles à gérer, tant pour les enfants que pour les adultes qui y sont confrontés.

Cependant, le documentaire qu'Hélène David prépare actuellement avec la scénariste Andrée Pelletier s'intéressera davantage au point de vue des belles-mères elles-mêmes. C'est d'abord pour rendre compte des conditions de vie de "ces femmes qui n'ont pas de nom, pas de lieu, pas de parole et pas de pouvoir" que le scénario du documentaire sera élaboré. C'est aussi dans le but de faire disparaître la connotation négative liée au terme de "belle-mère" qui fait en sorte que, même dans les dictionnaires, il renvoie au concept de "marâtre" et désigne tout autant la mère du conjoint que la femme qui vit avec un homme déjà ancré dans le rôle de père biologique.

Rôle ingrat
Rôle ingrat, s'il en est, la belle-mère écope souvent d'un tas de responsabilités par rapport aux enfants de son conjoint, sans toutefois en retirer d'avantages ou de gratifications réelles. Les nombreux témoignages recueillis jusqu'ici - plusieurs femmes se réjouissent d'avoir enfin un lieu pour parler de leur situation - révèlent que les belles-mères font face à des émotions passablement contradictoires par rapport à leur rôle, oscillant parfois entre l'exaspération et la culpabilité, en passant, plus souvent qu'autrement, par un fort sentiment d'impuissance.

Une forte majorité d'entre elles se demandent d'ailleurs pourquoi elles s'investissent autant auprès de ces enfants qui ne sont pas les leurs et qui, quoi qu'elles fassent pour eux, leur témoignent peu de reconnaissance. "Il y a fondamentalement une histoire de femmes là-dedans, fait remarquer Hélène David. Peu importe le mode de garde ou l'attitude du père par rapport à ses enfants et à son ex-conjointe, il existe presque toujours une rivalité entre la mère biologique et la belle-mère. Les hommes, pour leur part, semblent davantage enclins à se tenir à l'écart des conflits."

Les témoignages recueillis révèlent également que plusieurs femmes sont très conscientes du poids énorme que doivent porter les enfants qui vivent un conflit d'allégeance entre leur mère biologique et la copine de leur père. Puisqu'ils sont investis de la délicate mission, avouée ou non, de ne surtout pas aimer la seconde au risque de faire souffrir la première, cela vient nécessairement fausser les bases d'une relation qui pourrait se développer autrement dans d'autres circonstances. Mais il existe bien d'autres facteurs qui peuvent rendre difficile l'exercice d'une maternité "imposée" par la présence des enfants du conjoint dans une famille reconstituée et ils peuvent sérieusement compromettre la survie du couple, peu importe la qualité de l'amour qui existe entre les conjoints.

Si elles avaient su...
Certaines femmes vont jusqu'à dire que, si elles avait su les difficultés auxquelles elles allaient se heurter en s'engageant dans un processus de reconstitution familiale, elles auraient peut-être été moins enclines à s'investir dans leur relation de couple. Mais la passion des premiers instants, jumelée au désir de bien faire, les porte à croire qu'elles seront en mesure de surmonter les obstacles et de réussir là où plusieurs autres ont échoué. Si au début, c'est surtout la méconnaissance des enjeux réels qui pousse les femmes à tenter d'assumer le rôle de belle-mère, il leur faut par la suite faire preuve d'un courage inouï pour relever les nombreux défis qu'elles rencontrent.

Le modèle familial le mieux connu reste, encore aujourd'hui, celui de la famille nucléaire traditionnelle où la mère, le père et les enfants biologiques habitent tous sous un même toit. Avec une réalité qui se transforme rapidement et qui témoigne de l'émergence d'une pléiade de nouveaux modèles, ne serait-il pas utile d'inventer de nouvelles façons de vivre et de faire? Pourrait-on envisager, par exemple, que les conjoints de familles reconstituées vivent chacun de leur côté afin d'éviter les conflits reliés au partage des responsabilités et d'un espace commun? Hélène David admet cependant qu'il est difficile de renoncer à certains avantages de la cohabitation tels que le partage des dépenses et la vie de famille.

Le documentaire auquel travaille actuellement Hélène David et Andrée Pelletier ne suffira sans doute pas à apporter des réponses à toutes les questions soulevées par le phénomène des belles-mères, pas plus qu'il ne proposera de solutions miracles aux problèmes des familles reconstituées. Cependant, Mme David espère que le fait de donner la parole à ces femmes leur permettra d'exorciser quelques-uns des démons qui leur empoisonnent l'existence. À force d'être privées de nom, de voix, de pouvoir et de statut, les belles-mères risquent fort de devenir "a-mères" (le mot est de Mme David), au même titre qu'on peut être apatride, aphone ou anonyme.

Lorraine Desjardins
Collaboration spéciale


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