L'abbé Claude Turmel s'intéresse depuis près de 30 ans au patrimoine religieux. Il s'occupe de la Fondation du patrimoine religieux du Québec. |
Cathédrale Marie-Reine-du-Monde: 15 points sur 20; église du Gésù: 12 points; église Sainte-Marguerite Marie: 11 points; église Saint-Sauveur: 9 points; églises St-John Lutherian et Taylor: 6 points...
Ainsi l'architecte Jean-Claude Marsan a-t-il classé 24 églises du centre-ville de Montréal selon leur valeur patrimoniale. Joyaux architecturaux dans certains cas, monuments très mal conservés dans d'autres, ces églises constituent un problème de conscience qui pèse lourd chez les amateurs de vieilles pierres.
Car même si la Fondation du patrimoine religieux du Québec dispose d'un providentiel budget de 65 millions de dollars pour financer des travaux dans 400 églises de la province, on ne peut encore que colmater les brèches, refaire les toitures, éviter que des murs s'écroulent. "Ça prendrait un demi-milliard pour répondre adéquatement aux besoins", affirme l'ancien doyen de la Faculté de l'aménagement.
Voyant venir le jour où les bulldozers seront sur les parvis, M. Marsan, qui est responsable du programme de maîtrise en conservation de l'environnement bâti de l'École d'architecture, s'est dit qu'il valait mieux prévenir. Il a donc analysé une à une les églises du centre-ville... "S'il faut absolument en abandonner quelques-unes, aussi bien que ce soit en vertu d'un choix rationnel."
Pourquoi avoir concentré ces travaux sur le centre-ville de Montréal? Parce que c'est là que les menaces sont les plus vives. Les paroissiens y ont déserté les lieux de culte et sont moins prompts que dans les campagnes à s'opposer aux promoteurs immobiliers.
"Les plus gros problèmes de l'art religieux, actuellement, c'est au centre-ville de Montréal que nous les trouvons, dit l'abbé Claude Turmel, vice-président de la Fondation du patrimoine religieux. À part peut-être la basilique Notre-Dame et la Christ Church Cathedral, toutes les autres églises sont menacées. Marie-Reine-du-Monde connaît un déficit de 200 000$ par année. Combien de temps la communauté pourra-t-elle éponger une telle somme?"
Un siècle monumental
En 1840, Montréal comptait environ 40 000 habitants, soit
autant que la ville de Verdun aujourd'hui. "Regardez le nombre
et la qualité des monuments qui existaient à cette
époque, dit l'abbé Turmel: l'Hôtel-Dieu, la
basilique Notre-Dame, l'hôtel de ville de Montréal,
la Banque de Montréal et plusieurs autres, des bâtiments
militaires, des immeubles de congrégations religieuses
disparus depuis. Montréal était à l'époque
une ville d'architecture. On construisait gros ou l'on ne construisait
pas."
L'héritage s'est transformé en casse-tête pour les générations suivantes, a expliqué l'abbé Turmel au cours d'une conférence à l'invitation du Centre étudiant Benoît-Lacroix le 24 mars dernier. L'exode vers les banlieues et la laïcisation de la société ont contribué à la désuétude des lieux de culte. Dans la paroisse de Saint-Jacques, où vivaient 80 000 personnes, il ne reste plus que 8000 "paroissiens", qui fréquentent plus les tabourets de bistrot que les bancs d'église. Sur la rue Sainte-Catherine, St-James United, un symbole pour les adeptes de l'Église unie du Canada, a été conçue pour recevoir 2000 fidèles. À peine 125 personnes assistent aux offices religieux.
"L'avenir du patrimoine religieux? Je ne le connais pas, dit l'abbé Turmel. Il n'y a certainement pas de solutions définitives. Notre politique consiste à dire: " Ne détruisez aucune église patrimoniale. Quant aux autres...""
Ville aux 300 clochers
Tous les lieux de culte officiels (églises, chapelles,
temples, synagogues, etc.) de même que les édifices
à vocation religieuse (presbytères, couvents) peuvent
bénéficier de
l'aide de la Fondation du patrimoine religieux. Pour être retenus, ils doivent avoir été construits avant 1945 et présenter un intérêt sur le plan patrimonial. Sont également admissibles les orgues et les vitraux. D'ailleurs, certains curés préféreraient utiliser leur budget pour réparer leur orgue plutôt que pour la maçonnerie...
Sur les 300 églises de Montréal, environ 125 ont un statut patrimonial. Sans mettre en doute cette catégorisation, Jean Trudel, professeur au Département d'histoire de l'art, s'inquiète des critères qui président aux choix. "Il est arrivé qu'on décide que telle forme d'art était sans intérêt. À la suite du concile Vatican II, par exemple, on a jeté à la rue beaucoup d'objets d'art sacrés. On trouvait des autels transformés en bars dans les sous-sols des maisons de banlieue. Même chose avec les statues de plâtre, dont le Québec possédait une industrie florissante. Ce n'était certainement pas des chefs-d'oeuvre, mais ces statuettes témoignaient du goût d'une époque. C'étaient des témoins culturels précieux."
Le fait de fixer la limite des bâtiments admissibles à 1945 serait également discutable. D'autant plus que cette date a été repoussée d'une décennie quand un ministre a appris que l'église face à son bureau de comté datait de 1938...
L'histoire joue un rôle dans l'appropriation des communautés, acquiesce Jean-Claude Marsan, mais ce n'est pas le seul critère. Il aurait été préférable d'ajouter la mention "sauf exception" à la limite de 1945.
Quoi qu'il en soit, l'avenir du patrimoine religieux dépendra de la bonne volonté des citoyens. "Je ne suis pas pratiquant, dit M. Marsan. Mais on ne peut pas ignorer l'architecture religieuse, car à la différence de l'architecture industrielle elle recèle des oeuvres d'art visuel, du mobilier, des instruments de musique qui ont marqué la culture."
Une étude gouvernementale a révélé que, si l'on mettait dans une balance toutes les oeuvres d'art produites au Québec au cours de son histoire, 49% de ce patrimoine serait d'inspiration religieuse. Il est grand, le mystère de la foi.
Mathieu-Robert Sauvé
La méthode de classement élaborée par l'architecte Jean-Claude Marsan avec l'aide d'une étudiante à la maîtrise, Caroline Dubuc, de son collègue Gérard Beaudet et d'autres collaborateurs tient compte de quatre critères d'évaluation: l'importance historique, les caractéristiques architecturales distinctives, le patrimoine artistique et la relation visuelle avec le milieu. Le Plan stratégique de conservation des églises et des chapelles au centre-ville de Montréal prévoit pour chaque édifice une évaluation sur cinq points pour chaque catégorie.
Certaines églises s'en tirent bien (la basilique Notre-Dame obtient la note parfaite: 20/20), mais d'autres (St-Luke Episcopalian et St-John Presbyterian) arrivent dernières avec 2 maigres points. Les défenseurs du patrimoine ne monteront pas aux barricades si ces dernières doivent être détruites.
Cela dit, les églises qui récoltent le plus de points ne recevront pas nécessairement un budget. La basilique Notre-Dame, par exemple, n'est pas menacée et ne figure pas parmi les priorités. "Un plan stratégique doit établir des priorités et concentrer les énergies sur les églises qui sont ou qui risquent d'être menacées de disparition dans un avenir prévisible et dont la conservation s'impose de toute évidence."
C'est l'église St-James United qui détient la priorité, suivie ex-aequo de Saint-Pierre Apôtre et de Erskine and America. En troisième place on retrouve St-John the Evangelist et en quatrième Sainte-Brigide et Sacré-Coeur de Jésus.
Luc Noppen, Lucie K. Morrisset et Robert Caron, La conservation des églises dans les centres-villes, actes du Colloque international sur l'avenir des biens d'Église, Québec, juin 1997.