Anne Charpentier, diplômée de
l'Université de Montréal en muséologie et
en biologie, explique que cette pierre de plus d'un quart de
tonne recèle des traces de la plus ancienne forme de vie trouvée sur le territoire québécois. |
Par hasard, durant l'été 1992, des prospecteurs ont trouvé un fossile datant de 2,7 milliards d'années en plein milieu des bois, à l'ouest de Joutel, en Abitibi. La plus vieille trace de vie sur le territoire québécois, constituée de colonies de bactéries fossilisées, fait l'objet d'une exposition permanente au Biodôme de Montréal.
Le géologue Hans Hofmann, professeur à l'Université de Montréal, a confirmé que les échantillons découverts étaient parmi les plus anciens stromatolites jamais identifiés. "Je reçois des échantillons régulièrement pour identification. Cette fois-là, je me souviens, c'était assez surprenant. Il n'y a guère plus d'une trentaine d'endroits où l'on trouve des stromatolites plus anciens."
L'ingénieure géologue Andrée-Lise Méthot a consacré son mémoire de maîtrise en géologie fondamentale à ce fossile. "Nous étions sur le terrain lorsque j'ai dit à mon professeur que ce serait formidable de présenter cette roche à Montréal. Ça permettrait de sensibiliser la population à la géologie."
Bien après avoir déposé son mémoire, en 1997, Mme Méthot a continué de travailler à ce projet. Elle a obtenu une subvention du ministère de la Culture et des Communications (grâce à un programme de financement visant à encourager la carrière scientifique chez les femmes) et la collaboration de la Ville de Montréal, de l'Université de Montréal et de la société minière Cambior. Cette dernière s'est chargée de transporter la pierre du site de l'affleurement rocheux au socle sur lequel elle repose désormais, coupée en deux de façon à montrer aux visiteurs les colonies bactériennes fossilisées. La société minière a recueilli en plein hiver la pierre pesant plus d'un quart de tonne.
"Le Biodôme était le meilleur endroit pour présenter cet échantillon, qui témoigne de l'histoire du monde", dit Mme Méthot, qui occupe un emploi d'ingénieure à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
"Nous profitons de l'engouement populaire pour les fossiles créé par la vague du Parc Jurassic, explique Anne Charpentier, muséologue au Biodôme de Montréal. La roche stromatolitique nous permet un survol de l'histoire du monde, de la création de la planète jusqu'à nos jours."
L'exposition, qui vise de façon particulière les jeunes de 9 à 14 ans, présente d'abord des stands interactifs où le visiteur apprend ce que sont un fossile et une bactérie. Il reçoit ensuite des notions de géologie. Puis, avant d'arriver à l'échantillon rocheux, il aperçoit 44 étapes représentant autant de tranches de 100 millions d'années appelées "géons".
"Le géon est une unité de mesure utile pour tous ceux qui s'intéressent à la paléontologie, explique Hans Hofmann, inventeur de ce néologisme de plus en plus utilisé dans la littérature scientifique. Je me suis rendu compte que nous ne possédions pas de préfixe simple pour parler de l'évolution en termes géologiques."
Plutôt que d'évoquer le phanérozoïque, l'archéen, le cryptozoïque et autres mésoprotéozoïques, le profane peut aisément comprendre que les plus vieux fossiles datent du géon 34, que les plus vieilles roches de la Terre datent du 40e géon et que les plus anciens animaux sont du 5e géon. Il faudra attendre le géon 2 avant de voir les dinosaures. Tout cela donne une idée de la jeunesse des mammifères.
Les visiteurs peuvent admirer quelques pièces qui complètent l'exposition. Parmi elles, l'une des plus vieilles roches de la Terre, datant de quatre milliards d'années. Oui, on peut toucher!
D'autres minéraux valent aussi le déplacement: des fossiles de poissons, de plantes et de l'archéoptéryx, l'ancêtre des oiseaux. Les amateurs de dinosaures sont aussi servis: ils peuvent voir une dent de tyrannosaure. Au géon 0, le visiteur peut apercevoir un spécimen vivant de primate supérieur: un miroir lui renvoie sa propre image... Façon de dire que l'évolution n'est toujours pas terminée.
On se donne même rendez-vous dans un géon. "Sur ce minuscule îlot de vie perdu dans l'immensité de l'espace, des espèces disparaissent, d'autres évoluent... Quelles formes prendra la vie dans 100 millions d'années?"
Mathieu-Robert Sauvé