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Le cerveau musical

Isabelle Peretz a mis en évidence l'existence de circuits cérébraux propres à la perception musicale.

Sur cette scanographie, Isabelle Peretz peut observer une lésion cérébrale ayant causé un trouble d'amnésie musicale. Un même type d'examen sera bientôt réalisé avec une patiente souffrant de dysmusie innée afin de découvrir des zones cérébrales liées au "cerveau musical".

La musique est le langage des émotions, dit-on souvent. Pour Isabelle Peretz, professeure au Département de psychologie et l'une des très rares spécialistes à travailler sur la perception de la musique, il s'agit là plus que d'une simple figure de style.

Il y a quelques années, elle a mis en évidence l'existence de régions cérébrales associées spécifiquement à la perception de la musique, même chez les sujets non musiciens. La poursuite de ses travaux au sein du Groupe de recherche en neuropsychologie expérimentale (GRENE) a permis de montrer que ces circuits perçoivent les aspects émotionnels de la musique, comme la gaieté ou la tristesse, indépendamment des aspects relevant de la cognition, comme la structure et la cohérence de la mélodie.

"On a donc tort de considérer la musique uniquement comme un langage non verbal et de penser que sa dimension émotionnelle n'est pas reliée à un arrangement neuroanatomique, déclare-t-elle. La musique n'est pas qu'un simple produit culturel résultant d'un "jeu de l'esprit" mais semble correspondre à un besoin biologique."

L'émotion musicale
On a découvert l'existence d'un réseau neurologique propre à la perception de la musique chez des personnes souffrant de lésions les rendant incapables de saisir et de mémoriser la structure d'une mélodie mais qui conservaient la capacité d'en apprécier l'effet.

L'un des sujets de Mme Peretz est une femme qui a grandi dans un milieu musical et qui a été victime d'une rupture d'anévrisme à l'âge de 40 ans. "Elle a perdu la capacité de reconnaître la musique mais soutient qu'elle aimer en écouter, indique la chercheuse. Toutes les autres fonctions intellectuelles comme la reconnaissance du langage, l'expression verbale et la mémorisation sont demeurées intactes. Cette personne pourrait par contre écouter 20 fois de suite la même mélodie sans reconnaître qu'il s'agit de la même."

Isabelle Peretz a ainsi pu constater que cette femme percevait le tempo et le mode musical. Chez les sujets normaux, la rapidité et la lenteur du tempo de même que le mode majeur ou mineur sont invariablement associés à la gaieté et à la tristesse, émotions correctement perçues par la dame en question. "À l'écoute d'un air qu'elle connaissait - l'Adagio, d'Albinoni -, elle demeurait incapable de reconnaître la mélodie mais disait que cela lui paraissait triste et lui rappelait l'Adagio, d'Albinoni."

Cependant, l'intrusion dans une mélodie d'une note discordante ou d'un passage étranger que tous les nuls en musique peuvent déceler n'est pas perçue par cette personne souffrant d'"amnésie musicale". "La voie émotionnelle fonctionne, mais tout ce qui relève du jugement cognitif lié à la musique ne fonctionne pas. Il s'agit donc de deux voies distinctes", déduit la chercheuse.

Les travaux d'Isabelle Peretz, auxquels ont contribué Lise Gagnon, étudiante au doctorat, et Bernard Bouchard, technicien compositeur, ont ainsi montré que cette appréciation émotionnelle de la musique revêt trois grandes caractéristiques: elle est immédiate et systématique, elle fait inconsciemment appel à des connaissances sophistiquées (comme le mode ou le tempo) et elle est dissociable du processus cognitif.

Ceci semble correspondre aux résultats d'autres travaux effectués sur la perception émotionnelle, notamment dans la reconnaissance des expressions du visage ou la détection d'un danger.

D'autres faits relatés dans la littérature viennent également corroborer les observations de la neuropsychologue. Le compositeur Maurice Ravel, à qui l'on doit le célèbre Boléro, était à la fin de sa vie incapable de transcrire un opéra qu'il avait en tête même s'il avait conservé toutes ses habiletés pour jouer de la musique et en apprécier l'écoute.

À l'inverse, le musicien russe Vissarion Shebalin, remarqué dans les années 1950, a subi une lésion cérébrale à l'hémisphère gauche qui lui a fait perdre l'usage et la compréhension de la parole alors qu'il est demeuré un compositeur virtuose.

Langage et musique ne constitueraient donc pas deux expressions relevant d'un même mécanisme, même si les réseaux se rejoignent à un certain niveau, comme le montrent des lésions affectant les deux habiletés à la fois.

Une habileté innée
Selon Mme Peretz, le mécanisme à la base de la compréhension de la musique serait inné et son développement serait marqué par l'éducation ou la culture environnante. Toutefois, il arrive que certaines personnes naissent privées de ces composantes du cerveau musical (voir l'encadré).

La chercheuse ne s'intéresse pas qu'à la mécanique de ces structures mais également à leur raison d'être. Une hypothèse évolutionniste a déjà suggéré que les premières formes de langage devaient être plus musicales ou chantées. "Le problème, souligne-t-elle, c'est qu'on ne voit pas comment ni pourquoi on aurait abandonné ce type de langage."

Elle croit plutôt que les habiletés musicales serviraient d'ancrage au langage et renforceraient la cohésion sociale. "Lorsqu'on parle aux bébés et aux jeunes enfants, on le fait de façon beaucoup plus musicale et même en chantant. On recourt également à la musique, comme les hymnes nationaux, lors d'événements politiques ou sportifs. La musique et les chants sont aussi au coeur des célébrations religieuses."

Dans chacun de ces exemples, la musique renforce le sentiment d'appartenance au groupe social, ce qui aurait fait du "cerveau musical" un avantage adaptatif retenu par la sélection naturelle.

Daniel Baril


Souffrez-vous de dysmusie?

Che Guevara, paraît-il, était incapable de distinguer quelque forme de musique que ce soit, même après avoir suivi des cours de salsa! De 5% à 15% de la population serait ainsi privée des fonctions cérébrales propres à la perception de la musique. Dans de tels cas, on parle de "dysmusie".

"Non seulement ces personnes ne se rappellent pas les airs entendus, mais elles n'en perçoivent ni le tempo ni le mode et n'en ressentent pas les émotions, indique Isabelle Peretz. La musique peut même les incommoder au point d'en éprouver des nausées et elles ne comprennent pas ce que les autres y trouvent d'agréable. Pour ces personnes, écouter de la musique est comme écouter un discours dans une langue étrangère."

Cette dysfonction est demeurée jusqu'ici très peu étudiée parce qu'elle a peu d'impacts sur les autres habiletés cognitives et émotionnelles. Les travaux d'Isabelle Peretz feront toutefois progresser les connaissances sur ce syndrome puisqu'elle recourra bientôt au scanographe afin de scruter le cerveau d'une personne souffrant de dysmusie, ce qui n'a jusqu'ici jamais été fait. Elle compte ainsi pouvoir désigner les composantes essentielles du cerveau musical et mieux comprendre son fonctionnement. Sa subvention du CRSNG pour ses recherches vient d'ailleurs d'être doublée, ce qui est peu commun par les temps qui courent.

Par contre, Isabelle Peretz ne dispose que d'un seul cas de dysmusie innée pour poursuivre ses travaux. Si vous vous reconnaissez dans la description donnée ci-dessus, votre cas l'intéresse au plus haut point. Vous pouvez la joindre au (514) 343-5840.


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