Hubert Doucet |
Mme C. D. doit subir une opération visant à corriger son prolapsus rectal récidivant, une sorte de hernie douloureuse qui cause de l'incontinence. Mais en raison de son âge, 89 ans, et de sa condition générale, le personnel médical hésite à l'opérer.
Ce cas, présenté par le responsable du programme de bioéthique, Hubert Doucet, à une quarantaine de personnes présentes au premier café de bioéthique, tenu à la librairie Olivieri le 8 février dernier, a suscité un vif débat entre les défenseurs de l'autonomie du patient et ceux qui s'inquiètent du coût des soins donnés aux personnes âgées. "Il ne faut pas oublier que plus de 10% du budget des soins de santé est consacré à la dernière année de vie", a souligné le maître de cérémonie.
Un argument qui a soulevé l'ire d'un participant. "Alors qu'on paie encore pour le maudit Stade olympique, je trouve odieux de parler des limites de notre budget de santé."
Si Mme C. D. a toute sa tête, comme on dit, elle risque d'entrer dans une spirale de problèmes de santé qui la conduiront vers un acharnement thérapeutique que nul ne souhaite. Mais peut-on laisser mourir une personne qui pourrait être sauvée par une intervention mineure?
En Grande-Bretagne, les personnes de 65 ans et plus n'ont pas droit à une hémodialyse à moins que le traitement ne soit déjà entamé. De plus, on a fixé à 50 ans la limite d'âge pour les transplantations rénales. Un État américain, l'Oregon, a choisi de ne pas établir de telles limites mais a élaboré une liste des maladies les plus coûteuses matériellement et humainement avant de fixer la ligne.
Au Québec, l'âge doit-il être un facteur d'exclusion? "Je sais que la question mérite d'être posée, mais je trouve choquant d'en être rendu là", a déclaré une participante. À quoi un autre, médecin, a répondu: "Moi, l'âge, je trouve que c'est important. Pas à cause de la discrimination, mais parce que les risques de subir une complication augmentent à mesure qu'on vieillit."
Ce dernier intervenant s'est fait reprocher de pratiquer une médecine de chiffres. "Probabilités, facteurs de risque, statistiques. On n'est pas à Loto-Québec!"
Trève de discussions: on opère ou pas? "On opère", en ont décidé les mains levées. À l'unanimité, moins une voix.
Une deuxième partie surprenante
La deuxième partie de la présentation a tout de
même réservé quelques surprises à l'assemblée.
Voici la suite de l'histoire.
L'opération, sous anesthésie générale, se déroule sans problème le 11 mai 1997. Au réveil cependant, la patiente est confuse et désorientée. De plus, elle a des problèmes urinaires. Trois jours plus tard, son état périclite. Elle souffre d'une pneumonie. Mais son coeur tient bon.
Que faire à ce stade-ci? Faut-il entamer un traitement aux antibiotiques ou abandonner Mme C. D. à son sort?
Ici encore, les avis sont partagés. Pour les uns, l'antibiothérapie est indiquée en raison de son côté non invasif; pour d'autres, c'est le point de non-retour. C'est là que l'intervention humaine doit s'arrêter pour laisser la nature suivre son cours.
Quoi qu'il en soit, cette première expérience collective de discussion sur un cas de bioéthique - sur le modèle des cafés philosophiques - s'est avérée fort intéressante. Le bistro de la librairie Olivieri est juste assez grand pour accueillir un groupe de 40 personnes et cela permet aux habitués de l'éthique de sortir de leurs lieux habituels.
"Nous aurions pu aborder le thème de l'allocation des ressources d'une façon très générale, mais nous avons préféré présenter un cas vécu. Un cas qui peut se reproduire de façon presque quotidienne dans un hôpital", a dit M. Doucet avant d'ouvrir le débat. Il a d'ailleurs joué son rôle d'animateur avec doigté, permettant à tous de s'exprimer à leur guise et ajoutant quelques données de son cru quand les discussions s'enlisaient.
Pour Paule Savignac, représentante de l'Association des étudiants en bioéthique, à l'origine de cette initiative, les cafés de bioéthique seront l'occasion d'échanger publiquement des points de vue sur des questions controversées. Profanes comme érudits sont les bienvenus. La rencontre du 8 février était la première manifestation publique de cette association. Les deux prochaines porteront sur l'euthanasie (29 mars) et le clonage (3 mai). Ça promet.
Mathieu-Robert Sauvé