À défaut d'avoir accès aux originaux, Jean Duhaime dispose de copies des manuscrits de la mer Morte qu'il scrute à la loupe. Il a réalisé la traduction française du parchemin présentant la Règle de la communauté. |
Les manuscrits de la mer Morte n'ont pas encore livré tout leur contenu, mais les friands de "dossiers mystères" et les abonnés de X-Files seront déçus: on n'y retrouve ni mystères ni révélations embarrassantes sur Jésus de Nazareth, et les manuscrits ne sont l'objet d'aucun complot. Rien que des textes de lois, des règles de conduite, des prières et des textes bibliques déjà connus.
La découverte de ces 800 parchemins, entre 1947 et 1956 dans les falaises surplombant la mer Morte, à Qumrân, n'en demeure pas moins l'une des découvertes archéologiques les plus importantes du siècle. Cinquante ans plus tard, ce qui a également été qualifié de "plus grand scandale académique du siècle" pique toujours la curiosité du grand public.
L'histoire d'un faux complot
Jean Duhaime, professeur d'archéologie biblique à
la Faculté de théologie, étudie les fameux
manuscrits depuis près de 25 ans.
Intarissable sur le sujet, le professeur s'empresse de dégonfler l'un des mythes les plus tenaces, soit celui d'un complot entourant la publication des manuscrits. L'idée de la conspiration a été lancée au début des années 1990 par des chercheurs qui dénonçaient l'inaccessibilité des manuscrits ainsi que la lenteur de la publication des analyses.
À l'origine, seulement neuf chercheurs (huit chrétiens et un agnostique), financés par le musée Rockefeller de Jérusalem, avaient accès aux documents. Quarante ans après leur découverte, seul le quart des manuscrits avait été publié.
Une interprétation qui circulait à ce moment-là affirmait que les manuscrits contenaient des éléments d'information sur les grandes figures du christianisme (Jean-Baptiste, Jésus et Paul) et apportaient un nouvel éclairage sur les origines de cette religion. Pour les spécialistes écartés du groupe de travail, il n'en fallait pas plus pour soupçonner le Vatican de vouloir cacher les véritables origines du christianisme.
"La vérité est beaucoup plus triviale, affirme Jean Duhaime. On s'attendait, au départ, à ce que le travail de restauration et de traduction prenne une dizaine d'années. Mais la tâche s'est avérée beaucoup plus longue et complexe. Certains manuscrits sont en miettes et il faut une longue formation pour réussir à les reconstituer, les lire et les traduire."
Au bout des 10 années escomptées, le musée Rockefeller suspend le financement du travail. Ensuite, c'est la guerre des Six Jours qui interrompt les travaux. Après 1967, le directeur de l'équipe, John Strugnell, aux prises avec des problèmes de santé et de personnalité, fait preuve de laxisme en confiant le travail à ses étudiants. Des dissidences éclatent dans l'équipe et des publications parallèles apparaissent.
Sous les pressions des chercheurs mécontents et pour mettre fin à la léthargie, la Biblical Archeology Society publie, en 1991, un jeu complet de photos des manuscrits obtenu sous le manteau et la bibliothèque Huntington de Californie rend la collection accessible au public sous forme de microfilms deux ans plus tard.
L'idée de la conspiration s'est arrêtée là, mais la suspicion est demeurée vive dans le public. Selon Jean Duhaime, même si les responsables de l'opération auraient dû publier dès le départ des copies des manuscrits, les délais dans cette affaire "ne sont pas exceptionnels. Des parchemins coptes découverts à la même époque n'ont pas encore été complètement traduits parce que ce genre de travail nécessite beaucoup de soins."
Présentement, l'équipe officielle d'édition est composée de plus de 50 chercheurs (dont le tiers sont des juifs) et 85% des documents annotés ont maintenant été publiés.
Jésus essénien?
L'idée que les manuscrits contenaient des révélations
sur les origines du christianisme n'a pas tenu la route non plus
puisque les textes à la source d'une telle interprétation
(les parchemins de Qumrân ne mentionnent aucun nom) datent
d'environ 150 ans avant notre ère.
"La première traduction du passage en question parlait d'un messie - le maître de Justice - qui était mis à mort avant d'établir son royaume, relate Jean Duhaime. Mais la traduction la plus exacte parle plutôt d'un messie qui met ses ennemis à mort!"
Ceci infirme du même coup l'idée que la symbolique d'un messie mis à mort et qui ressuscite ait été puisée dans le judaïsme ancien.
"Les textes de Qumrân montrent que la communauté vivant à cet endroit était en rupture avec les prêtres du temple de Jérusalem depuis l'époque de Judas Maccabée, poursuit le professeur. Les membres faisaient une interprétation rigoriste de la loi juive; leur mode de vie, en communauté initiatique attendant l'apocalypse, les rapproche des Esséniens décrits par les historiens de l'époque."
Jean Duhaime n'exclut pas l'hypothèse que Jésus de Nazareth ait été en contact avec les Esséniens de Qumrân ou même qu'il en soit issu. "Toutefois, dit-il, rien ne nous permet de l'affirmer. De plus, la communauté de Qumrân attribuait le mal à un manque de rigueur dans l'observation de la loi. Le rigorisme produit des exclus alors que Jésus s'est préoccupé des exclus - les pauvres, les malades, les prostituées - en plaçant l'humain avant la loi. Le christianisme primitif est ainsi en rupture radicale avec la tradition des Esséniens et celle de Qumrân."
Pour le professeur, l'intérêt des manuscrits n'est pas dans de prétendues révélations sur les origines du christianisme mais dans les éléments d'information qu'ils livrent sur les croyances, la mystique et la mythologie de l'environnement judéo-palestinien où le christianisme a pris naissance et dont il se distingue.
Les documents apportent également au théologien un éclairage sur la dynamique des rapports entre une religion établie et une communauté dissidente, éclairage qui enrichit la sociologie des religions et l'analyse du phénomène actuel des sectes.
Le domaine d'étude de Jean Duhaime a bien failli ne jamais voir le jour. Le berger qui a découvert les rouleaux de cuir en 1947 les a en effet vendus à un cordonnier qui a remarqué les inscriptions. Les manuscrits de la mer Morte ont ainsi failli terminer leur histoire en sandales de mauvaise qualité.
Daniel Baril