"Il faut préserver le caractère sauvage unique de la nature québécoise", souligne Vincent Perès, initiateur du projet Cap Natashquan. |
Une pourvoirie nouveau genre est en train de prendre forme au nord de Natashquan grâce à l'ambition et à l'imagination fertile de deux étudiants de l'École des Hautes Études Commerciales.
Vincent Perès, à la fois chargé de cours et étudiant au doctorat à l'École des HEC, et Agnès Darmaillacq, diplômée à la maîtrise de la même école, ont eu le coup de foudre pour la nature sauvage de la côte nord québécoise au cours d'un voyage de pêche qu'ils y effectuaient en 1994. Ils ont tout de suite réalisé que la région offrait un immense potentiel touristique inexploité et laissé de côté par les pourvoiries.
Ils ont alors eu l'idée ambitieuse d'acquérir la pourvoirie, en l'occurrence l'ancienne Natashquan Safari - à 15 minutes de vol ou deux heures de canot au nord du village légendaire -, pour y réaliser un projet associant tourisme, nature, culture régionale et industries locales.
"La nature constitue l'or vert du Québec, mais les pourvoiries l'ont peu et mal exploitée, déclare Vincent Perès. La plupart des pourvoiries appartiennent à des gens d'affaires qui ne les utilisent que comme abris fiscaux. Ils délaissent les liens avec le milieu local, ce qui fait que les dimensions sociale et culturelle attachées à l'espace qu'est devenue la pourvoirie se perdent, emportant avec elles l'histoire et les métiers traditionnels qui ont forgé cet espace."
Cette dimension sociale, c'est notamment celle que les autochtones, les coureurs des bois et les premiers occupants sédentaires ont apportée en plus de leur lot de connaissances rattachées à des métiers en voie de disparition. L'idée de Vincent Perès et d'Agnès Darmaillacq est de réintégrer toutes ces dimensions dans un projet d'exploitation misant à la fois sur la culture et sur la préservation de la nature.
Le projet fait partie des initiatives soutenues par le Centre d'entrepreneurship HEC-Poly-UdeM. La passion et la détermination qu'y mettent les deux promoteurs ont convaincu plusieurs organismes financiers de la Côte-Nord de se joindre à l'aventure, ce qui leur a permis d'acquérir la pourvoirie convoitée.
Clientèle haut de gamme
La nouvelle pourvoirie, Cap Natashquan, d'une superficie de 251
kilomètres carrés, offre ainsi toute une série
de forfaits chasse et pêche et d'expéditions écotouristiques
combinés, selon le choix, avec une formation écologique,
historique ou culturelle incluant par exemple la découverte
de la faune locale, le maniement du canot ou le contact avec les
autochtones.
Tout comme la démarche se distingue d'une approche axée sur la simple villégiature, la clientèle qui est visée est habituellement délaissée par les pourvoiries, soit la clientèle internationale haut de gamme. "Il existe une clientèle européenne attirée par la découverte des grands espaces, intéressée par un ressourcement en nature et curieuse de découvrir des modes de vie différents, poursuit Vincent Perès. Cette clientèle recherche une immersion dans la culture du pays, un environnement sauvage et des activités comme la chasse ou la pêche, des randonnées et de l'écotourisme."
En plus des grands espaces, Vincent Perès et Agnès Darmaillacq envisagent d'attirer leur clientèle à Natashquan par des expositions internationales d'artistes naturalistes. "Ceci permettrait de confronter l'art occidental à l'art amérindien", soulignent-ils. Ils ont déjà approché le conservateur de la joaillerie Cartier, qui s'est montré intéressé par un tel projet.
Intégration au milieu
Les deux entrepreneurs veulent aller encore plus loin et créer
sur place un institut des métiers de la nature afin d'assurer
un partage de connaissances entre ingénieurs, architectes
de paysage, environnementalistes, autochtones, restaurateurs,
constructeurs et pêcheurs.
"Il est étonnant de constater, en visitant les pourvoiries, que tout semble être importé et que les métiers ou artisans locaux n'ont pas été mis à contribution", déplore le professeur.
Un tel projet se concrétiserait notamment dans le réaménagement des chalets de la pourvoirie, ce qui pourrait du même coup soutenir des activités de recherche et de formation destinées à la population locale, comme une formation sur la flore et la faune aquatiques de la région. La préoccupation est en fait de s'assurer que la nouvelle pourvoirie s'insère dans la trame sociale et culturelle du milieu au lieu d'y être "parachutée" comme l'ont été trop d'entreprises.
"La réussite d'un tel projet, lit-on dans le document de présentation, minimiserait les impacts et les coûts sociaux des grands projets industriels de ces régions dont les finalités, du fait des enjeux économiques et financiers associés, tiennent difficilement compte du sort à plus long terme des communautés locales et encore moins de leur devenir."
Sur cet aspect de l'intégration, Vincent Perès et Agnès Darmaillacq se plaisent à citer Gilles Vigneault: "À Natashquan, écrivait notre chansonnier national, les maisons et les gens, les sapins, les chaloupes, le sable des chemins [...] vous accusent ou complimentent selon que vous y jouez l'un ou l'autre des deux rôles connus des insulaires: touriste ou visiteur? Touriste, vous avez droit à l'hospitalité, la politesse aussi et la curiosité. Êtes-vous visiteur? Le coeur vous est ouvert comme une porte. La table est mise et l'âme est sur la table. Prête à vous habiter."
Cap Natashquan veut ainsi transformer le touriste en visiteur. L'ambitieux projet est porté par la passion: "Sans la passion et avec le seul motif économique, le projet serait mort", avoue Vincent Perès.
Daniel Baril