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Les sciences économiques au service du tiers-monde

André Martens reçoit le prix Mohammed El Fasi pour sa contribution auprès de pays en voie de développement.

"Non, nous ne donnons pas le poisson", précise André Martens, professeur au Département de sciences économiques et directeur de recherche au Centre de recherche et développement en économique (CRDE). Ce spécialiste des économies en développement, particulièrement celles du monde arabe et de l'Afrique, accorde beaucoup d'importance à la formation.

"Nous travaillons toujours avec ce volet de formation qui fait, par exemple, qu'au Maroc il y a maintenant une équipe bien rodée qui n'a plus besoin de notre intervention", observe M. Martens avec fierté. D'ailleurs, son action auprès de pays arabes et africains a amené au Département de nombreux étudiants, chercheurs postdoctoraux et stagiaires étrangers, boursiers de l'Agence universitaire de la Francophonie et de la Banque mondiale.

L'économie du développement
Le prix Mohammed El Fasi, qui est décerné par l'Agence universitaire de la Francophonie (AUPELF-UREF), a été attribué à André Martens ainsi qu'à son collègue de l'Université Laval, Bernard Decaluwé -professeur au Département d'économique et codirecteur du Centre de recherche en économie et finance appliquées (CREFA) -, avec qui il fait équipe. Ce prix, du nom de l'homme d'État, humaniste et universitaire marocain né à Fès en 1908 et disparu en 1991, reconnaît annuellement une oeuvre personnelle ou le travail d'une équipe consacré alternativement aux sciences médicales, aux sciences économiques et aux sciences agronomiques. Il est accompagné d'une bourse équivalant à environ 40000$.

Le comité de sélection du prix a retenu, dans le cas des professeurs Martens et Decaluwé, leur analyse des politiques économiques de développement, de croissance, de stabilisation et de lutte contre la pauvreté mises en route dans les pays à faible revenu. Il reconnaît également leur contribution à la mise en place de réseaux, principalement africains, de recherche en analyse économique et leur animation d'un centre d'excellence en économie du développement. Financé par l'Agence canadienne de développement international, ce centre a réuni, de 1991 à 1998, les chercheurs du CRDE et du CREFA. Le prix leur sera remis au cours d'une cérémonie qui se déroulera à l'Université d'Évry, en France, le 26 mars prochain.

"Notre travail consiste à observer une économie pour arriver à construire un modèle qui en décrive les caractéristiques essentielles en tenant compte d'éléments comme le comportement des consommateurs, les politiques gouvernementales et les échanges avec d'autres pays", a expliqué à Forum M. Martens.

Trouver des réponses
"Ce modèle, qui est bien sûr le fruit d'une simplification, est mis sur ordinateur, ce qui nous permet donc de l'interroger en introduisant des données socioéconomiques ou des hypothèses concernant les politiques gouvernementales ou le contexte économique. Par exemple, on peut demander quel sera l'effet de la diminution du prix d'un produit à l'exportation sur le niveau d'activité économique d'un pays, les recettes de l'État, les revenus de ses citoyens, ruraux ou urbains, riches ou pauvres, sur la balance des paiements, etc."

Mais il ne s'agit pas là d'un exercice purement théorique parce qu'André Martens et son collègue Bernard Decaluwé travaillent en étroite collaboration avec des universitaires et des administrateurs locaux, comme ce fut le cas notamment en Tunisie, au Maroc, au Bénin et au Cameroun, afin de trouver des réponses à des questions concrètes. C'est ainsi qu'ils ont été consultés en Tunisie sur les conséquences qu'aurait eues la suppression de la subvention gouvernementale sur les biens de consommation de première nécessité.

"Toutefois, il ne faut pas être naïf, constate M. Martens. Les décisions de politique économique ne peuvent dépendre seulement d'un modèle informatisé puisque celui-ci ne peut exprimer toutes les données du contexte social."

C'est pourquoi, dans le cas de la Tunisie, même si le modèle arrivait à la conclusion que la suppression de cette subvention aux biens de consommation courante serait bénéfique pour l'économie nationale et la balance des paiements, la mesure n'a été appliquée que très progressivement parce qu'elle risquait de provoquer le mécontentement populaire.

Site Internet
MM. Martens et Decaluwé travaillent présentement à la rédaction d'un manuel traitant de la construction de modèles et de méthodes de simulation des politiques économiques appliqués aux pays en voie de développement. Celui-ci sera relié à un site Internet où les étudiants des cycles supérieurs des deux universités pourront interroger les modèles. Il prévoit que ce site sera prêt à la fin de cette année ou au début de l'an 2000.

Tout en poursuivant ces travaux, André Martens sera chercheur en résidence, du 1er mars au 31 mai, au Forum pour la recherche économique sur les pays arabes, l'Iran et la Turquie, situé au Caire, où il se consacrera à la préparation d'une nouvelle version d'un ouvrage sur l'économie des pays arabes qu'il avait publié en 1983 aux Éditions Economica à Paris.

Et l'Afrique, que des gestes barbares (Sierra Leone), une guerre ethnique ou une famine rappelle occasionnellement à notre souvenir, est-elle condamnée à demeurer un continent délaissé?

"Les médias ne s'arrêtent qu'aux catastrophes; ils ignorent les efforts courageux et remarquables que font certains pays", remarque l'économiste, qui donne en exemple le Burkina, l'Éthiopie et la Côte d'Ivoire.

L'analyse économique appliquée aux pays en voie de développement nécessite une approche un peu différente de celle qu'on utilise pour les pays occidentaux. Il faut, explique M. Martens, tenir compte de secteurs informels de production, lesquels échappent à des réglementations comme celle sur le salaire minimum, d'un secteur agricole souvent très important, de marchés parallèles des devises ou encore établir la différence entre le taux légal de taxation et ce que l'État peut effectivement percevoir.

L'Afrique est le continent qui a le plus reçu d'aide internationale par habitant, mais ce ne fut pas toujours pour le mieux. "On a mis du temps à réaliser que, sauf en période de catastrophe, l'aide en nature, en céréales notamment, déprimait les prix locaux et nuisait aux paysans alors qu'elle profitait aux classes urbaines, qui sont plus près du pouvoir", observe André Martens.

Il n'est donc pas toujours évident d'aider sans trop nuire...

Françoise Lachance



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