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Pour ou contre les prescriptions d'héroïne?

Le congrès de la FEP sur les drogues par injection attire plus de 1000 participants.

La psychiatre Annie Mino a exposé le programme suisse de prescription médicale d'héroïne.

"Docteur, j'ai besoin d'une dose d'héroïne. - Très bien. Dans quelle veine préférez-vous l'injection?"

Un tel échange est vraisemblable en Suisse où, depuis 1992, l'administration d'héroïne sous supervision médicale est autorisée. Mais attention, prévient la Dre Annie Mino, qui a été durant 12 ans chef de la division des abus de substances des Hôpitaux de Genève. On ne donne pas de l'héroïne sur demande à n'importe quel quidam. Seuls les cas les plus graves peuvent être adressés aux médecins, soit les toxicomanes qui ont au moins deux ans de consommation derrière eux et qui ont échoué à deux cures de désintoxication. Mais cela dit, 800 personnes bénéficient actuellement de ce programme et les listes d'attente n'existent pas.

"Dans les faits, a expliqué la Dre Mino à la conférence d'ouverture du congrès international sur les drogues par injection, du 13 au 15 mars derniers, ceux qui adhèrent à ce programme sont des cas très sérieux. Ils ont derrière eux non pas 2 mais en moyenne 12 ans de consommation et ont échoué à un bon nombre de cures de désintoxication. C'est une clientèle à risque pour la transmission du sida et de l'hépatite. On ne doit pas la laisser à elle-même."

Depuis l'implantation de la nouvelle politique, on a remarqué une amélioration de la condition de santé globale des héroïnomanes, une baisse de la criminalité, une baisse de la consommation d'autres drogues comme la cocaïne et les benzodiazépines. De plus, aucun décès par surdose n'a été rapporté dans toute la Suisse. "C'est la preuve que ce traitement fonctionne", dit la Dre Mino.

De son propre aveu, elle n'était pas en faveur d'une telle approche au début de sa carrière. C'est le succès médiocre des méthodes traditionnelles qui l'a convaincue d'opter pour la "réduction des méfaits" plutôt que la répression ou l'abstinence. Ce concept signifie que les intervenants permettent la consommation en tentant de diminuer les inconvénients liés à la toxicomanie. Il a été au centre des débats au cours de cette conférence d'ouverture présentée par le maire de Montréal, Pierre Bourque, et le recteur de l'Université de Montréal, Robert Lacroix.

Un pays surprenant
La Suisse compte sept millions d'habitants; parmi eux: 30 000 accros à la cocaïne et à l'héroïne. Mais pour une population d'une importance semblable à celle du Québec, l'approche semble diamétralement opposée. On trouve par exemple 14 000 personnes inscrites à des cures de méthadone (contre 700 au Québec). De plus, la population est largement en faveur (70%) de la politique de prescription médicale de l'héroïne et une plus grande proportion encore (73%) appuie l'idée de créer des lieux d'injection.

"Lorsqu'on a voulu implanter un centre d'injection légale - une "piquerie" - dans un quartier résidentiel du canton de Genève, explique la Dre Mino, on n'a rapporté aucune opposition. Cet établissement était pourtant au milieu des résidences privées, écoles, terrains de jeu..."

La réduction des méfaits n'est pourtant pas la panacée. Fondatrice du Certificat en toxicomanies de la Faculté de l'éducation permanente et aujourd'hui professeure au Département de psychologie, Louise Nadeau a tenu à critiquer l'approche suisse.

"Oui, l'arrivée du sida a modifié les approches de ceux qui s'intéressent au traitement de la toxicomanie. Mais attention à la pensée monolithique. La dépendance physique, c'est grave. L'abstinence peut éviter le passage vers cette dépendance. De même, les programmes de méthadone, c'est bien. Mais cette substance provoque des effets secondaires sérieux."

Pour Mme Nadeau, tous les traitements sont efficaces, mais pas pour tout le monde. Il importe de se concentrer sur les solutions à trouver pour cette clientèle difficile.

Elle a lancé en conclusion un vibrant appel à la solidarité. "A-t-on démissionné à l'égard du problème des drogues injectables comme on a démissionné devant le suicide des jeunes?"

La guerre aux narcotiques
Pour Catherine Hankins, de l'Université McGill, la guerre américaine contre les drogues manque sa cible, et comme le Canada aligne bien souvent sa politique sur celle de son puissant voisin, il commet les mêmes erreurs. Selon elle, la réduction des méfaits est une voie intéressante qu'il ne faut pas s'empêcher d'examiner.

"Les États-Unis ont déclaré la guerre aux drogues. C'est une guerre raciste, compte tenu du nombre disproportionné de Noirs arrêtés chaque année. De plus, dans ce pays qui ne connaît que la répression, 10 000 vies auraient pu être épargnées si une politique d'échanges de seringues avait été mise en place dès l'apparition de l'épidémie de sida, en 1987, comme en Australie."

Le congrès sur les drogues par injection, qui s'est tenu au Palais des congrès, a réuni plus de 1000 intervenants de première ligne, épidémiologistes, travailleurs communautaires, policiers, etc. Il était organisé dans le cadre du 20e anniversaire du programme de certificat en toxicomanies de la FEP.

Mathieu-Robert Sauvé


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