Une étudiante s'initie aux techniques de fouilles archéologiques sur le site de la Pointe-du-Buisson, à Melocheville. Témoin de la popularité de l'archéologie auprès du public, ce site, à l'écart des grands circuits touristiques, accueillait plus de 17 000 visiteurs pendant les mois d'été l'année dernière. |
À n'en pas douter, l'archéologie suscite un intérêt certain dans une vaste partie de la population québécoise. Le musée de Pointe-à-Callière, par exemple, reçoit à lui seul plus de 100 000 visiteurs par année. Pourtant, le Québec n'accorde que très peu d'importance à cette science dont dépend la connaissance de notre passé patrimonial.
C'est même un portrait plutôt sombre qu'ont tracé les participants au colloque sur la place de la recherche archéologique au Québec tenu le 12 mars dernier. Ce colloque clôturait la semaine d'activités organisée au Département d'anthropologie par l'Archeological Ressource Circle/Cercle de ressources en archéologie (ARCRA).
Anne-Marie Balac, archéologue au ministère de la Culture et des Communications, a déploré la diminution des ressources qui touche son ministère, où le nombre d'archéologues est passé de sept à trois à cause du non-remplacement des spécialistes partis à la retraite. "Les subventions accordées à des projets de fouilles et de mises en valeur du patrimoine sont passées de 900 000$ en 1990 à 400 000$ en 1998, a-t-elle indiqué. Ce financement doit être puisé dans divers budgets puisqu'il n'y a pas de catégorie propre à l'archéologie dans les programmes de subventions du ministère."
Mme Balac a surtout déploré l'absence de politique nationale d'orientation en matière d'archéologie, ce qui a pour effet de créer un réseau d'intervention éclaté constitué de cellules isolées. "Des intervenants du milieu ont mené une réflexion sur l'état de l'archéologie au Québec en 1995 afin de susciter l'adoption d'une politique, mais ceci est resté lettre morte."
À la défense du patrimoine
Du côté des universitaires, Normand Clermont, professeur
au Département d'anthropologie, a avoué sa frustration
de ne disposer que du tiers de son temps pour des travaux de recherche,
le reste étant consacré à la gestion, à
l'enseignement et aux demandes de subventions.
Cette situation doit toutefois faire rêver bon nombre d'archéologues. Selon Daniel Chevrier, directeur de la firme Archéotec, les archéologues québécois passent la moitié de l'année au chômage. "Dans les firmes, l'archéologue ne contrôle pas le type de recherche qu'il entreprend mais répond plutôt à des commandes, précise-t-il. Son champ d'intervention doit pouvoir inclure les milieux aussi bien urbain que rural ainsi que le Grand Nord."
La Loi sur les biens culturels et la Loi sur la qualité de l'environnement ont suscité la création de ces firmes en obligeant la réalisation d'études archéologiques dans les grands projets d'aménagement d'infrastructures. Toutefois, "les griffes de la loi s'estompent et aucun amour du patrimoine ne s'est développé, regrette Daniel Chevrier. Les architectes, les urbanistes, les ingénieurs et les gestionnaires se méfient de nous et nous perçoivent comme des empêcheurs de tourner en rond. Ils ne comprennent pas la valeur et les particularités des vestiges que nous mettons à jour. Si l'archéologie fait partie du patrimoine collectif, sa défense devrait relever d'une responsabilité collective."
De ce côté, il semble que les archéologues aient encore beaucoup de sable à tamiser pour mettre leur discipline en valeur et faire comprendre que le patrimoine archéologique constitue notre trésor historique. Pour Jean-Jacques Adjizian, étudiant à la maîtrise, les milieux universitaire, professionnel et gouvernementaux doivent à cette fin faire preuve d'une plus grande concertation.
Il faut également savoir communiquer au grand public les résultats de la recherche, a ajouté Gilles Tassé, président de l'Association des archéologues du Québec et professeur à l'UQAM.
Pour Normand Clermont, la défense de l'archéologie devient une tâche titanesque avec seulement une poignée d'archéologues pour couvrir un territoire grand comme l'Europe, peu peuplé et comptant des milliers d'années d'occupation. "Il nous manque un effet de masse pour transformer notre produit en gourmandise intellectuelle. Ah! si nous avions des masques en or ou des morts qui jouent de la flûte!" s'est-il exclamé.
Une autre partie du problème est due au fait que l'archéologie est paradoxalement une science très jeune au Québec. En fait, le métier de chercheur en archéologie n'existe pratiquement pas. Selon Claude Chapdelaine, professeur au Département d'anthropologie, ce n'est qu'en 1983 que le premier doctorat en archéologie a été délivré par son département, et le titulaire avait fait son terrain au Costa Rica.
Quoi qu'il en soit, tous les intervenants du colloque se sont montrés convaincus que l'archéologie québécoise a un produit de qualité à offrir et qu'elle suscite suffisamment d'intérêt pour pouvoir rêver à la création d'un institut de recherche en archéologie. Pour l'instant, son avenir immédiat semble reposer entre les mains des principaux intéressés, c'est-à-dire les archéologues.
Daniel Baril