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L'enseignement de la médecine manque de coeur!

La majorité des étudiants en médecine trouve que les professeurs ne sont pas assez "humains".

Le Dr Claude Beaudoin estime qu'il devrait y avoir plus de continuité dans l'enseignement de la médecine entre la salle de classe
et l'hôpital.

Les trois quarts des résidents en médecine du Québec trouvent que leurs professeurs manquent de sensibilité envers leurs patients et par rapport aux besoins des étudiants. Par exemple, les professeurs ne semblent pas se préoccuper de la façon dont les patients s'adaptent psychologiquement à leur maladie et ne s'efforcent pas de comprendre les problèmes des étudiants en difficulté. Au total, seulement 46% des futurs cliniciens estiment que leurs professeurs ont les qualités humaines requises pour exercer leur métier.

Ces données coups-de-poing, publiées dans le Journal de l'Association médicale du Canada (6 octobre 1998), proviennent d'une étude menée en 1994 et 1995 par une équipe de chercheurs des quatre universités québécoises qui offrent des programmes d'enseignement de la médecine. Les répondants, au nombre de 774, provenaient des trois universités francophones, soit l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université de Sherbrooke.

"Ces résultats ont quelque chose d'inquiétant, commente le Dr Claude Beaudoin, professeur adjoint au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé et coauteur de l'étude. J'avoue que je ne m'attendais pas à des réponses aussi critiques."

Les auteurs se doutaient bien, avant d'entamer leur recherche, que les étudiants reconnaîtraient quelques défauts à leurs professeurs. Mais ils ne s'attendaient pas à une telle insatisfaction. À l'heure où l'autonomie du patient est une valeur primordiale, ils notent "l'écart important entre ce qu'on souhaite que les étudiants en médecine apprennent et les connaissances qu'ils acquièrent en réalité pendant la formation".

Le Dr Beaudoin donne l'exemple de la communication médecin-patient, qui semble très inégale d'un professeur à l'autre. "Certains se demandent si cela s'enseigne. Oui, cela s'enseigne. Le principal outil diagnostique du médecin, c'est l'entrevue. Il y a des stratégies plus efficaces que d'autres pour réussir cette entrevue. Poser des questions ouvertes, par exemple."

À la Cité de la santé, où le Dr Beaudoin est rattaché, des salles d'examen sont pourvues d'appareils vidéo qui permettent d'observer les interactions entre les cliniciens et leurs patients. Aussi, des simulations et des jeux de rôles aident les étudiants à s'identifier au malade. Ce genre d'exercice peut aider au moment d'annoncer une mauvaise nouvelle.

"Je vous dirais qu'en médecine familiale, où je croyais la situation meilleure qu'ailleurs, nous avons reçu des critiques assez vives, note le Dr Beaudoin, aussi directeur de recherche au Département de médecine familiale. C'est la preuve que tout le monde a des choses à améliorer!"

Des réformes insuffisantes
En plus d'utiliser des données d'un sondage qui remonte à cinq ans, cette étude paraît à un moment où les universités en cause ont procédé à des réformes en profondeur de leur enseignement. À l'Université de Montréal, par exemple, les "nouveaux M.D." ont commencé leur résidence en juin 1997. Ainsi, ceux qui ont choisi la médecine familiale termineront bientôt.

Le programme remanié compte beaucoup moins de cours magistraux qu'autrefois et s'appuie sur le principe de l'apprentissage par problèmes. On a ajouté l'aspect humain aux qualités de base recherchées dans la sélection des candidats. Et durant la formation, on insiste un peu plus sur cet aspect. "On reproche rarement aux médecins de ne pas maîtriser leur matière, déclarait l'an dernier à Forum le vice-doyen aux études de premier cycle, Claude Morin. Mais on critique le fait qu'ils sont pressés, qu'ils communiquent mal, qu'ils manquent d'empathie." Le nouveau programme a voulu corriger cette lacune.

Pour Claude Beaudoin, ces réformes sont insuffisantes, même si elles vont dans la bonne direction. "On a parfois l'impression que les choses vont mieux. Je me demande si ce n'est pas tout simplement dû au fait qu'il y a aujourd'hui davantage de femmes dans les facultés de médecine. La moyenne d'âge, plus élevée, joue peut-être aussi un rôle."

De même, les améliorations apportées au premier cycle semblent être bien éloignées de la réalité vécue alors que le résident est plongé dans un hôpital avec un patron, des salles d'urgence bondées, un stress constant...

Jugement global
Certains ont critiqué le fait que le questionnaire utilisé dans cette enquête ne permettait pas de souligner la contribution de bons pédagogues à l'intérieur des facultés de médecine. "C'était délibéré, dit le Dr Beaudoin. Nous avons voulu saisir le climat général chez les futurs médecins. C'est évident qu'il y a de bons professeurs. Mais une faculté de médecine n'est pas un libre-service. C'est pourquoi nous voulions connaître leur jugement global sur la situation."

Un des problèmes soulevés au cours de l'enquête était que les résidents voient peu leurs professeurs en action avec leurs patients. De même, ce n'est pas dans les cas légers que les problèmes de communication se posent. "La majorité des médecins n'ont probablement pas l'impression d'avoir des lacunes au chapitre de la communication. Tant qu'ils traitent des grippes, ça va. Mais ça se gâte quand survient un problème grave."

"Humaniser la médecine" n'est pas un débat nouveau. Mais cela s'impose de plus en plus, estime le Dr Beaudoin, car la technique, qui occupe une place grandissante, tend à pousser les cliniciens vers des habiletés qui vont dans le même sens, abandonnant l'humain au passage.

Mathieu-Robert Sauvé


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