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La mémoire de surface des autistes

Une étrange déficience qui produit des habiletés phénoménales.

Laurent Mottron et Sylvie Belleville ont mis en lumière une habileté d'apprentissage particulière chez les autistes qui les amène à retenir les particularités plutôt que la globalité des choses.

L'autisme est le seul handicap qui produise parfois des performances hautement supérieures aux habiletés communes. Une personne atteinte de troubles graves du langage peut ainsi avoir une oreille musicale prodigieuse.

Cet étrange paradoxe fournit à Laurent Mottron, chercheur au Département de psychiatrie, et à Sylvie Belleville, professeure au Département de psychologie, un moyen qui permet d'aborder le dysfonctionnement caractéristique de cette maladie qui ne se laisse pas cerner facilement. Ils ont ainsi pu mettre en lumière un procédé cognitif particulier aux autistes, la mémoire de surface.

Dénominateurs communs
L'autisme est un trouble du développement qui se manifeste dès les premières années de la vie par une absence de réciprocité sociale et de réponse émotionnelle, des troubles du langage, des champs d'intérêt limités et des gestes répétitifs.

"Nous avons la quasi-certitude que l'autisme procède de troubles neurobiologiques, mais le dysfonctionnement paraît ne toucher aucune région du cerveau en particulier, explique Laurent Mottron. Les déficits sont envahissants et, même si l'on a décelé dans quelques rares cas des lésions dans les lobes temporal et frontal, ils touchent plusieurs domaines apparemment non reliés. La seule approche dont nous disposons pour localiser et comprendre ce dysfonctionnement est la méthode cognitive: nous recherchons des dénominateurs communs à plusieurs déficits à partir de ce que le sujet est en mesure de faire ou de ne pas faire."

Malgré les déficiences signalées plus haut, certains sujets autistiques font preuve de capacités phénoménales dans les domaines comme la mémorisation, le dessin de détails, le repérage d'objets manquants, le calcul ou la musique; c'est le syndrome de l'autiste savant. Pour les chercheurs, cette combinaison d'hyper- et d'hypofonctionnement pourrait provenir de déficits cognitifs communs qu'ils tentent de définir. De même, ils cherchent à comparer la façon de procéder de ces prodiges avec les méthodes utilisées par les surdoués non autistiques.

La mémoire de surface
Mais cela ne va pas de soi. "Si quelqu'un disposant d'une mémoire prodigieuse peut nous expliquer sa façon de procéder, les performances des autistes savants sont spontanées et ils sont incapables de décrire comment ils procèdent", souligne Sylvie Belleville.

Les deux chercheurs, aidés en cela par leurs étudiantes Karine Morasse et Édith Ménard, ont tout de même pu établir une particularité du fonctionnement cognitif des autistes: l'apprentissage et la mémorisation s'effectuent à partir des aspects de surface plutôt qu'à partir du sens global.

"La mémorisation des mots, par exemple, va se faire à partir de leur sonorité plutôt qu'à partir de leur sens, explique Mme Belleville. La classification fait ainsi appel à une mémoire des sons plutôt qu'à des catégories comme chez les gens non autistiques."

C'est ainsi que nous rangeons normalement le mot "fauteuil" dans la catégorie "chaise" plutôt que dans les mots en "euil".

La mémoire de surface est également observable dans le domaine du dessin. Un autiste présentant le syndrome du savant reproduira un objet complexe, une flûte par exemple, en ajoutant progressivement une série de détails les uns aux autres plutôt qu'en commençant par tracer la forme et les contours généraux de l'objet.

Même processus chez les autistes doués d'une "oreille absolue" qui leur permet de produire ou de reconnaître une note de musique unique et isolée. "Ces personnes peuvent ainsi repérer plus facilement qu'un non-autiste un changement d'une seule note dans une mélodie qu'elles ont déjà entendue, relate Laurent Mottron. Ceci montre de nouveau qu'elles retiennent d'abord des particularités locales ou de surface avant la globalité."

Cette procédure, qui semble commune aux autistes avec ou sans don particulier, ne serait pas qu'une simple compensation pour des lacunes dans les circuits neuronaux puisque les habiletés compensatoires sont développées largement au-delà des besoins normaux.

Retombées cliniques
Ces travaux amorcés il y a deux ans grâce à une subvention du CRM ont nécessité la création d'une clinique, la Clinique spécialisée de

l'autisme, située à l'hôpital Rivière-des-Prairies, afin de constituer l'échantillon nécessaire à la recherche. Cette clinique bénéficie du même coup du transfert de connaissances provenant des travaux de recherche.

"L'équipe clinique peut ainsi mettre à profit ces retombées dans des programmes d'insertion sociale et de pédagogie scolaire", précise M. Mottron qui, au passage, souligne que l'hôpital Rivière-des-Prairies est "un excellent hôpital!".

Les deux chercheurs pourront poursuivre leurs travaux grâce à une subvention obtenue récemment de la Fondation canadienne pour l'innovation. Six autres chercheurs se joindront à eux afin de constituer une équipe multidisciplinaire réunissant des spécialistes des perceptions visuelle et musicale, de la mémoire, du sommeil et de la génétique.

Deux de ces chercheurs proviennent des universités de Toronto et de Colombie-Britannique, deux de McGill, alors que les deux autres sont de l'UdeM, soit Roger Godbout, du Département de psychiatrie, et Isabelle Péretz, du Département de psychologie.

Daniel Baril



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