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La Chaire en analyse des risques toxicologiques pour la santé humaine

En matière de santé environnementale, "le patient, c'est la société"...

Les chercheurs doivent donc avoir une liberté totale sur le plan scientifique, insiste Gaétan Carrier.


De Saint-Basile-le-Grand à l'incinérateur Des Carrières et à la carrière Miron, en passant par le fluor, le plomb, les pesticides utilisés en agriculture et en horticulture, les champs électromagnétiques, etc., le titulaire de la nouvelle Chaire en analyse des risques toxicologiques pour la santé humaine fut de tous les dossiers chauds en matière d'environnement au cours des 20 dernières années au Québec.

Gaétan Carrier sait donc à quel point les questions liées à l'environnement, à la pollution et à la santé des êtres humains sont difficiles à gérer. C'est pourquoi il a insisté pour que les chercheurs de la Chaire conservent leur indépendance et leur liberté d'action sur le plan scientifique. "Ce qui n'est pas possible quand on a les mains attachées", observe-t-il.

Il n'est donc pas question pour les chercheurs de cette chaire, mise sur pied par le Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu de la Faculté de médecine, d'être au service des autres partenaires pour effectuer leurs analyses de risques, ni de se poser en arbitres dans des situations controversées dans lesquelles ceux-ci pourraient être impliqués.

La pluralité et la diversité des partenaires (dont les principaux sont Alcan, Noranda, l'Institut de recherche en santé et en sécurité du travail et la Régie régionale de Montréal-Centre) sont pour le Dr Carrier la meilleure assurance à cet égard.

Instinct de conservation
"Les effets de la pollution stimulant l'instinct de conservation, un problème de santé appréhendé est souvent la source de débats virulents sur des considérations sociales, politiques et idéologiques, observe-t-il. Les intérêts des divers acteurs en cause dans un dossier environnemental et la perception qu'ils ont des risques sont généralement très différents."

À titre de consultant, le Dr Carrier a mené plusieurs études. L'une d'entre elles, réalisée à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux, portait sur les dioxines et furannes, substances qui sont produites lors de la combustion des BPC. Elles furent d'ailleurs le sujet de sa thèse de doctorat. Il siège également à un comité de l'Organisation mondiale de la santé chargé de réviser les normes relatives aux substances toxiques.

Le Dr Carrier, qui est également ingénieur, est professeur titulaire à plein temps depuis 1997, mais il contribue aux activités d'enseignement et de recherche du Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu depuis 1976. De 1970 à 1987, il a été au service d'Hydro-Québec, où il a notamment été responsable du programme de santé de la société d'État. Il a ensuite travaillé à la Direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, où il a mis sur pied le premier département de santé environnementale au sein du Département de santé communautaire de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

En tant que médecin, Gaétan Carrier considère que son patient, c'est la société. "Or, un médecin soucieux de bien traiter son patient doit d'abord l'écouter." C'est pourquoi il juge que la chaire doit aussi être un lieu où responsables de la santé publique, chercheurs et représentants de l'industrie et de la population pourront se rencontrer ainsi qu'un lieu de formation de publics cibles.

Doute et contradictions
Le manque de formation du public est une des grandes difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui doivent gérer les risques environnementaux. "Il faut être à la fois conscient des limites des connaissances en la matière, apprendre à vivre avec le doute et accepter les contradictions de la société", souligne le Dr Carrier.

Alors qu'elle accepte que la route tue des centaines d'individus par année, la société est parfois prête à demander la fermeture d'une usine, qui par ailleurs fournit du travail à des centaines de travailleurs, s'il y a présomption que sa présence puisse être la cause de 1 décès sur 100 000 personnes... On connaît bien le syndrome du "pas dans ma cour!".

"Aussi faut-il bien comprendre la distinction entre l'analyse du risque, qui relève de la démarche scientifique, et la gestion du risque que font les décideurs en tenant compte non seulement des données des experts, mais aussi de considérations politiques, sociales et économiques", ajoute le spécialiste.

Bien sûr, la mission de la Chaire sera d'améliorer les connaissances sur les effets que l'état de l'environnement peut avoir sur la santé humaine et de former des spécialistes en analyse des risques, ce que fait déjà le Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu, considéré comme le leader au Québec en la matière. Mais Gaétan Carrier veut de plus mettre sur pied des programmes de formation à l'intention de clientèles particulières comme les spécialistes en santé publique, les journalistes, les avocats, etc.

Lorsqu'il a été consulté à titre d'expert à propos d'un accident environnemental, comme dans le cas des BPC de Saint-Basile-le-Grand, Gaétan Carrier a jugé primordial de prendre le temps d'expliquer les résultats des analyses scientifiques aux journalistes qui voulaient bien l'écouter. Il considère donc que les futurs spécialistes doivent aussi apprendre à communiquer les résultats des analyses de risques aux décideurs, aux médias et à la population dans une forme simplifiée mais non simpliste.

"Il faut parfois indiquer clairement les limites et les incertitudes liées à l'approche qui a été utilisée en expliquant l'effet possible de ces incertitudes sur les résultats obtenus, ajoute-t-il. Il faut surtout rester transparent sur tout ce qui a trait aux résultats ou observations de cette étude. Il faut faire appel à l'intelligence des gens en leur apportant tous les éléments pertinents pour qu'ils soient en mesure de porter leur propre jugement."

Question de perspective
Pour Gaétan Carrier, le rôle de l'expert en analyse des risques est d'établir le niveau minimum de concentration à partir duquel un effet délétère est produit, d'expliquer aux décideurs les précautions qui peuvent être prises et de contribuer à la dépolarisation des débats en informant la population. Mais, ajoute-t-il, c'est finalement à la société de décider où elle veut tracer la ligne. Par exemple, il est difficile d'interdire complètement les pesticides utilisés en agriculture, sous peine de tuer ce secteur névralgique de notre économie, tant et aussi longtemps que ces produits seront utilisés ailleurs dans le monde. Mieux vaut donc informer les agriculteurs pour que ces derniers les emploient avec parcimonie. De même, on peut difficilement envisager de se passer de voiture, d'électricité...

"Il faut donc mettre les choses en perspective. Par exemple, s'il est prouvé qu'une usine est la cause de 250 à 300 cancers sur 10 000, c'est une chose. Par contre, si l'on établit qu'elle est responsable de deux cas de cancer sur 10 000 à l'âge de 75 ans et que, par ailleurs, elle est le gagne-pain de centaines de travailleurs et que, de ce fait, elle contribue à la diminution de la pauvreté, donc de la criminalité, de la dépression, du suicide dans un quartier, la situation est différente."

Toutefois, un produit dont la probabilité de causer le cancer est de 2 sur 10000, donc de 200 sur 1 million de personnes, serait quand même responsable du décès de 40000 personnes à l'échelle de l'Amérique du Nord...

"Ainsi, même si localement la chose n'est pas très préoccupante, en n'agissant pas, on contribue à augmenter la vague de fond à l'échelle mondiale", observe le Dr Carrier.

La "révolution environnementale" ne fait que commencer, déclare-t-il en guise de conclusion. Bref, le Dr Carrier et ses collègues ont beaucoup de pain sur la planche.

Françoise Lachance


Les champs électromagnétiques:

un léger doute subsiste...

Il y a quelques années, l'incertitude quant au potentiel cancérigène des champs électromagnétiques a causé beaucoup d'inquiétude dans la population. Qu'en est-il au juste? Comme c'est souvent le cas lorsqu'on tente d'établir un lien de causalité entre un produit et ses effets sur la santé humaine, la réponse n'est pas simple.
Des études établissent un lien purement statistique entre une augmentation des cas de cancer et l'exposition à un champ électromagnétique tandis que d'autres n'y parviennent pas, explique le Dr Gaétan Carrier, titulaire de la Chaire en analyse des risques toxicologiques pour la santé humaine.

Par ailleurs, poursuit-il, des études expérimentales effectuées sur le plan cellulaire suggèrent la présence de mécanismes dans la formation d'un cancer. Toutefois, chez l'animal, les études ne montrent pas d'augmentation observable de cas de cancer en rapport avec une augmentation de l'exposition.

"Nous faisons donc face à un dilemme, constate le spécialiste. D'une part, il y a une association statistique, bien qu'elle ne soit pas toujours présente, et d'autre part, il n'y a pas de preuves chez les animaux nous permettant de conclure à une plausibilité biologique certaine de développer un cancer à la suite d'une exposition à un champ électromagnétique. Nous n'avons donc pas de certitude qu'il existe un lien de causalité."

Que faire en pareil cas? "Dans le doute, on doit adopter une approche de précaution dans les limites d'une faisabilité qui demeure abordable", conclut le Dr Carrier.


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