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La course aux molécules

L'équipe de Tony Antakly vole la vedette à Robert Gallo.

À la suite d'une saga de laboratoire qui a eu des échos dans les plus grandes revues médicales du monde, une molécule prometteuse pour le traitement du sarcome de Kaposi et du sida a été découverte par l'équipe de Tony Antakly, professeur au Département de biochimie de l'Université de Montréal, en collaboration avec Malur Sairam, de l'Institut de recherches cliniques de Montréal. La molécule sera bientôt testée sur des sujets humains après avoir fait l'objet d'un brevet mondial.

Même si guère plus de 1% des molécules conçues en recherche fondamentale atteint la commercialisation, M. Antakly est convaincu de voir un jour sa découverte vendue sous forme de médicament en pharmacie. "Je veux voir l'avenir en rose", dit-il.

Il faut bien comprendre que le sarcome de Kaposi est actuellement une maladie grave qu'aucun médicament ne parvient à soulager. Si elle existe depuis longtemps sous forme sporadique, l'apparition du sida l'a rendue beaucoup plus courante. En effet, le quart des sidéens contracte cette maladie. De ce nombre, un sur cinq en meurt.

La découverte survient après que les chercheurs engagés dans la lutte contre le sida eurent été intrigués par la faible incidence du sarcome de Kaposi chez les femmes. De plus, le fait que le virus ne traverse presque jamais la membrane placentaire pour contaminer le foetus semblait indiquer qu'une hormone sexuelle liée à la reproduction limitait sa propagation. C'est ainsi qu'ils ont suivi la piste de la choriogonadotrophine humaine (HCG), disponible sous forme de médicament pour traiter certains types de stérilité.

David contre Goliath
Pour bien comprendre ce qui a précédé la découverte, il faut remonter à 1995 et 1996, alors que l'un des chercheurs les plus renommés des États-Unis, Robert Gallo, publie dans Nature et dans le New England Journal of Medicine que la HCG de provenance commerciale inhibe les cellules de Kaposi in vitro et élimine les tumeurs lors d'essais cliniques chez les humains. Au laboratoire de l'Université de Montréal, les chercheurs déjà engagés dans le combat contre le sarcome de Kaposi tentent de répéter l'expérience.

"Mon étudiant au doctorat W-X Guo, pourtant méticuleux, n'arrivait pas à reproduire les résultats de l'équipe de Robert Gallo, déclare M. Antakly. La seule différence méthodologique, c'est que nous utilisions l'hormone HCG biochimiquement pure."

Ce résultat négatif s'est avéré plus tard être la base de la découverte. Ainsi, le groupe de l'Université de Montréal a démontré expérimentalement que l'effet thérapeutique de la préparation commerciale n'est pas dû à la HCG, mais à un contaminant présent dans la préparation commerciale.

Alors que l'équipe de Montréal publiait ses premiers résultats dans la revue Endocrinology, Robert Gallo se rétractait presque en même temps au cours d'une conférence internationale. Il admettait que l'effet anti-VIH et anti-sarcome de Kaposi n'était pas causé par la HCG mais par un "facteur associé" à cette hormone. Il ajoutait que ce facteur associé "de petit poids moléculaire" devait encore être caractérisé. La revue Nature-Biotechnology a d'ailleurs fait état de cette rétractation.

Comme les résultats de l'équipe de Robert Gallo furent finalement publiés en mai 1998, plus de 10 mois après ceux du professeur Antakly, ce dernier eut la surprise et la déception de voir ses travaux ignorés dans l'article de M. Gallo. "Cependant, les faits sont là et n'importe qui peut les replacer dans leur contexte historique. Maintenant, l'important, c'est d'aller à l'avant", dit-il.

Course au brevet
Cette saga se poursuit aujourd'hui avec une nouvelle course: celle de la commercialisation de la "bonne" molécule. Du côté montréalais, le clonage de la molécule n'est pas terminé, mais déjà un brevet mondial a été déposé. De plus, une société de l'Ouest canadien s'est associée au chercheur afin d'investir une somme importante en recherche et développement en plus des fonds provenant d'une société dotée d'un comité de pairs.

Pourquoi l'Ouest? "Nous avions besoin d'un partenaire industriel de toute urgence afin de rester dans la course. Malheureusement, nous n'en avons pas trouvé au Québec", dit laconiquement M. Antakly.

À court terme, le chercheur envisage des essais cliniques de phase 1 et 2 chez l'humain, après quoi il espère établir une collaboration avec une grande société pharmaceutique. Les tests de phase 3 peuvent coûter jusqu'à 50 millions, souligne-t-il.

D'un autre côté, le chercheur est conscient d'être en compétition avec un géant de la recherche. "Robert Gallo est soutenu par la ville de Baltimore, l'État du Maryland et le National Institute of Health. La seule construction de son institut a coûté plus de 46 millions de dollars. Moi, à côté, je suis comme le petit David."

Mathieu-Robert Sauvé



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