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La naissance des sages-femmes

Une ombre au tableau de la profession naissante: le nombre de bébés mort-nés.

"Si la pratique des sages-femmes doit se généraliser au Québec, il est impératif qu'elles soient mieux intégrées au système de santé", souligne Régis Blais.

Le Canada est le dernier des pays industrialisés à ouvrir la porte à la pratique des sages-femmes. Mais la décision de légaliser cette pratique au Québec, à partir de septembre 1999, relève d'abord d'un choix de société - permettant d'offrir aux femmes divers types d'accouchement - plutôt que d'une supériorité clairement établie de l'accouchement par les sages-femmes.

C'est la conclusion à laquelle en arrive l'équipe de chercheurs qui a évalué les résultats des huit projets pilotes implantés en 1994 dans sept CLSC et un hôpital inuit. L'un des deux coordonnateurs de l'équipe d'évaluation, Régis Blais, membre du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé, est venu présenter les résultats de cette étude vendredi dernier à ses collègues du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention.

Expérience positive
"Dans l'ensemble, l'expérience des femmes qui ont choisi l'accouchement assisté par une sage-femme a été plus positive que celle des clientes de médecins, a mentionné Régis Blais. Elles ont répondu de façon plus positive aux questions portant sur l'humanisation et la qualité des soins et ont éprouvé un sentiment de pouvoir au moment de l'accouchement. Après l'accouchement, elles avaient plus confiance en elles pour prendre soin du bébé et ont été plus nombreuses à allaiter."

Ces différences d'appréciation et de comportement sont en bonne partie liées aux valeurs que partagent les femmes intéressées par ce type d'accouchement et qui attendent justement plus de chaleur humaine. Sur ce plan, l'expérience s'avère donc positive.

À ces attentes est également associé un objectif de démédicalisation de l'accouchement. Les projets pilotes ont montré que le nombre d'interventions obstétricales pendant la grossesse a effectivement été plus faible chez les clientes de sages-femmes que chez les clientes de médecins: pour les échographies, 81% contre 98%; pour les amniocentèses génétiques, 6% contre 11%; pour les hospitalisations, 3% contre 10%.

Même constat pour les interventions médicales au moment de l'accouchement: ruptures artificielles des membranes, 33% contre 58%; péridurales, 11% contre 49%; épisiotomies, 7% contre 37%; césariennes, 6% contre 13%. Il faut toutefois mentionner que les femmes ayant participé aux projets pilotes étaient considérées comme à faible risque puisqu'elles ne devaient avoir aucun antécédent médical ou obstétrical.

Les clientes des sages-femmes ont par ailleurs été 50% moins nombreuses que les autres à accoucher prématurément ou à donner naissance à des bébés de moins de 2500 grammes. "Nous pensons que ce résultat pourrait être lié à de meilleures habitudes de vie ou à une meilleure préparation durant la grossesse", estime Régis Blais.

Mortinaissance
Mais il y a une ombre sérieuse au tableau. Le taux de mortinaissance (bébés mort-nés) atteint 7,3 pour 1000 (excluant les malformations congénitales majeures) chez les clientes des sages-femmes alors qu'il est de 4,3 pour 1000 (incluant les malformations congénitales) chez les patientes de médecins. Ce dernier taux correspond à ce qu'on trouve dans les autres pays industrialisés.

Pour les chercheurs, la petite taille de l'échantillon (1000 clientes dans chacun des deux groupes) ne permet pas de dire si la différence entre les taux de mortinaissance est réelle ou aléatoire. Ils n'en affirment pas moins que "les données ne sont pas rassurantes quant à la sécurité d'un suivi prénatal par la sage-femme chez cette clientèle à faible risque".

Ils sont d'ailleurs portés à exclure le hasard puisque le taux de mortinaissance désavantageux pour les sages-femmes s'est maintenu après leur collecte de données. À la lumière de ces résultats, le ministère de la Santé et des Services sociaux a mis sur pied un comité d'experts pour étudier le problème et tenter de déterminer les causes des décès.

L'équipe de Régis Blais a également évalué le rapport coût-efficacité des deux types d'accouchement. Même si le séjour à l'hôpital est plus coûteux que celui en maison des naissances, les coûts de l'un et l'autre accouchement se sont avérés sensiblement les mêmes.

"Le fait que les rencontres des sages-femmes avec leurs clientes sont plus nombreuses et plus longues que celles des médecins contribue à hausser le coût de ce service, précise Régis Blais. De plus, dans certains projets pilotes, il n'y a eu qu'une trentaine d'accouchements sur un an alors que deux ou trois sages-femmes étaient engagées dans le projet; un médecin peut effectuer le même nombre d'accouchements en un mois."

Le rodage et l'expansion du service de sages-femmes pourraient donc contribuer à en diminuer le coût.

Standardiser la profession
"Les résultats de l'évaluation ne sont donc pas tous à l'avantage de l'un ou de l'autre type d'accouchement", en conclut l'équipe de chercheurs. C'est ce qui leur fait dire que la décision de légaliser la pratique des sages-femmes relève plus du choix d'une société où l'on cherche à concilier la santé publique et le droit de choisir les soins qui nous conviennent.

Ils n'en formulent pas moins une série de recommandations visant à mieux intégrer les sages-femmes au système de santé. "Il faudrait en arriver à une standardisation de la pratique, notamment par une formation rigoureuse et une éthique commune", souligne Régis Blais.

L'équipe recommande également que la visibilité des sages-femmes soit accrue dans le système de périnatalité puisque ce sont ceux qui ont travaillé de près avec ces professionnelles qui comprennent et apprécient le mieux leur pratique.

Quatre universités, dont l'Université de Montréal, ont présenté des projets de formation de sages-femmes. Un seul projet sera retenu et le ministère de la Santé et des Services sociaux fera connaître son choix vers la fin novembre afin que le programme soit offert en septembre 1999.

Daniel Baril


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