CISM ou la passion de la radio |
Quelque 275 bénévoles assurent la survie de la radio étudiante. |
CISM, la radio étudiante de l'Université de Montréal, c'est 10,000 watts de puissance, un rayon d'action de 60 kilomètres et un public cible potentiel de 400,000 auditeurs. Mais c'est aussi 275 animateurs, recherchistes, journalistes, techniciens, monteurs, gestionnaires - tous étudiants et bénévoles - qui assurent la diffusion de 80 émissions par semaine, 24 heures par jour, 365 jours par année.
Qui sont ces fous de la radio qui consacrent, en plus de leurs heures d'étude, chaque minute de leur temps libre à faire tourner des groupes inconnus qui ne trouvent pas preneurs ailleurs?
"Ce sont des étudiants de n'importe quelle discipline - histoire, communication, sociologie, architecture, etc. - qui veulent tenter l'aventure de la radio sans nécessairement chercher à y faire carrière, répond Jean-François Rouleau, directeur de la programmation. Certains arrivent ici sans trop savoir ce qu'ils veulent faire et se découvrent un intérêt pour un secteur ou pour une fonction particulière.
"Ils sont habituellement sans expérience, mais certains montrent une facilité déconcertante qui n'a rien à envier aux professionnels, ajoute-t-il. Et quand on se rend compte qu'on est à l'aise devant un micro, on peut faire énormément de choses; la radio est un média formidable!"
Étudiant de deuxième cycle en sociologie, Jean-François Rouleau est engagé dans l'aventure de CISM depuis cinq ans. Un groupe d'amis de son département l'avait alors invité à se joindre à eux pour réaliser une revue de presse internationale. "J'étais en ondes à six heures du matin et j'avais des maux de ventre incroyables, se rappelle-t-il. Mais le défi était très stimulant et l'émission a tenu pendant quatre ans."
Aujourd'hui, il regrette un peu d'avoir perdu ce stimulant d'adrénaline puisque, en tant que directeur de la programmation et employé rémunéré (ils ne sont que deux dans cette situation), il n'a plus accès aux ondes. "Mais élaborer les programmes, c'est comme faire une immense émission; ça me permet de pousser la passion d'un cran."
La passion a toutefois un prix; il faut accepter d'étirer la journée de travail par les deux bouts et offrir une disponibilité de tout instant: "J'étais en studio le 1er janvier!" confie-t-il.
Un de ses collègues, Olivier Lalande, était déjà un auditeur assidu de CISM quand il a été admis à l'Université de Montréal en communication. Ayant déjà tâté de la radio étudiante au cégep, il avait pris en grippe les stations FM "qui vendent du sourire à tout prix et du bonheur gonflé aux stéroïdes". "J'ai monté une émission de musique alternative qui me donne le plaisir de faire jouer des disques qui ne passeront jamais dans les stations commerciales", déclare-t-il.
La diffusion de groupes et d'artistes de la relève est d'ailleurs au centre de la politique musicale de CISM, qui s'engage non seulement à présenter une grande variété de musique mais aussi à ignorer les vedettes de l'heure.
Loin d'être frustrante, cette orientation est même la source de motivation de l'étudiant. "Nous avons été les premiers à faire jouer Les colocs et plusieurs autres qui connaissent maintenant du succès. On peut ainsi avoir un impact sur la communauté musicale en faisant découvrir de nouveaux talents."
CISM a d'ailleurs décroché l'été dernier le titre de radio officielle du festival de jazz de Montréal. "Aucune radio n'a de programme solide en jazz, estime Jean-François Rouleau. Pendant tout le festival, lui-même axé sur les musiciens de la relève, nous avons diffusé 17 heures de jazz par jour, en direct autant que possible."
La radio communautaire ne délaisse pas les étudiants pour autant. Le programme de cette année reprendra entre autres la diffusion des compétitions interdépartementales Bols et bolles, axées sur les connaissances tant culturelles que scientifiques, qui ont eu beaucoup de succès l'année dernière.
Et toujours pour parfaire les connaissances des étudiants, CISM a même diffusé en direct du Mondial de la bière une émission qui aurait pu tenir lieu de cours d'anthropologie de la bière.
Considérant la formation irremplaçable qu'apporte une telle expérience, les deux étudiants ont toutefois un grand regret: celui de ne pas pouvoir faire créditer cette formation. "Au Département de communication, on exige que les stages soient supervisés par des diplômés en communication, explique Olivier Lalande. Pourtant, nous réalisons de véritables activités de communication et de relations publiques qui pourraient facilement être créditées."
"Beaucoup de choses pourraient être créditées, enchaîne Jean-François Rouleau. C'est d'ailleurs possible puisque nous avons déjà reçu une étudiante des HEC qui est venue effectuer un stage en gestion de projets pendant notre radiothon."
L'autre épine, c'est le manque de fonds. Le rejet, par référendum l'année dernière, d'une hausse de la cotisation étudiante de 89 ¢ par trimestre a profondément déçu l'équipe de CISM. Outre les fonds provenant de la FAECUM, la radio survit grâce à un radiothon annuel, auquel participent cette fois des vedettes.
Pour financer la radio, les responsables ont également lancé, l'an dernier, un disque compact présentant une compilation de 18 pièces léguées par des artistes et musiciens de la relève et dont plusieurs étaient jusque-là inédites.
Le titre de l'album, L'oreille gauche, est un clin d'oeil au slogan qui a longtemps désigné CISM: avec la fréquence 89,3, elle pouvait en effet se présenter comme "la radio la plus à gauche"... sur la bande. Mais elle vient de se faire doubler sur sa gauche par CBC, qui a lancé un poste culturel sur la fréquence 88,5.
"J'espère qu'on est tout de même plus à gauche que CBC", déclare le directeur de la programmation.
Daniel Baril