Francine Ducharme |
Le virage ambulatoire a des conséquences directes sur les familles des personnes qui doivent maintenant terminer leur convalescence à la maison. Comment ces familles vivent-elles cette nouvelle réalité?
La situation est fort différente selon le type d'hospitalisation qu'a subie le patient, révèle une recherche de Francine Ducharme, professeure à la Faculté des sciences infirmières et codirectrice universitaire du Centre d'excellence pour la santé des femmes (CESAF).
Mme Ducharme a effectué une enquête auprès d'une quarantaine de femmes "aidantes naturelles" âgées de plus de 55 ans et vivant le retour à domicile de leur conjoint hospitalisé. Selon la chercheuse, ce groupe est la catégorie sociologique la plus représentative des personnes assurant les soins à domicile qui suivent l'hospitalisation d'un membre de la famille. Elle livrait les résultats de son enquête au cours de la journée de réflexion tenue le 20 novembre dernier par le Regroupement des aidantes et aidants naturels, un organisme communautaire associé au CESAF.
Du bon et du moins bon
Son étude montre que les femmes ayant à assurer
des soins assez simples ont une vision positive du virage ambulatoire.
Pour Francine Ducharme, des soins "simples" sont ceux
à donner après une hospitalisation d'une seule journée,
comme l'administration d'un médicament et l'assistance
légère dans les activités quotidiennes.
Dans de tels cas, le virage ambulatoire apparaît comme une occasion de personnaliser les soins, de briser l'isolement du malade, de réduire les déplacements épuisants à l'hôpital, de hâter la guérison par le retour dans un environnement familier et de désengorger les urgences.
"Ces femmes envisageaient la situation de soins comme un défi qu'elles pouvaient relever", a observé la chercheuse. Elles n'en déplorent pas moins certains aspects négatifs du virage, comme la peur des complications postopératoires, l'absence de préparation reçue et le manque de suivi de la part des services de santé.
Par ailleurs, le virage ambulatoire est principalement perçu comme une contrainte lorsque les soins à assurer sont plus complexes. On parle ici de soins d'ordre infirmier comme l'application de pansements, l'irrigation de plaies, l'administration d'intraveineuses, l'hygiène, la surveillance d'une diète, etc. Même si 75% des femmes aux prises avec ces situations plus difficiles recevaient de l'aide des services de santé, "elles ont vécu la situation comme stressante et se sont senties en perte de contrôle face à la complexité des soins à donner", souligne Mme Ducharme.
En plus du sentiment d'insécurité et du fardeau qui s'ajoute à leur état de santé déjà précaire, ces femmes reprochent le manque de planification des soins offerts à domicile et le transfert des coûts du système de santé vers les usagers.
Selon les conclusions de la recherche, le soutien offert à ces personnes devrait être mieux adapté à leurs besoins.
Un rôle ambigu
Une seconde étude du CESAF présentée à
ce même colloque et à laquelle ont participé
Jacinthe Pépin et Sylvie Lauzon, de la Faculté des
sciences infirmières, semble confirmer les remarques recueillies
par Francine Ducharme auprès des aidantes.
L'analyse des programmes de soutien à domicile révèle que les aidantes naturelles occupent une place fort réduite et plutôt ambiguë dans ces politiques. "La vision du soutien à un parent âgé se limite à un ensemble de tâches lourdes qu'ont à effectuer les aidantes, écrivent les auteurs. Les dimensions affectives et sociales du soutien sont nettement négligées."
En outre, les aidantes ne sont pas considérées comme des clientes à part entière des services de santé; si on les soutient, c'est de façon utilitaire afin d'éviter leur épuisement et pour que soit préservé le maintien à domicile des personnes âgées et malades.
La journée de réflexion des aidantes naturelles, qui a attiré plus de 200 participantes, a aussi été l'occasion du lancement d'un vidéo, À la vie, à la mort, réalisé par la vidéaste Louise Giguère et portant sur la problématique vécue par ces femmes. Épouses, mères, travailleuses sociales, infirmières y livrent un témoignage de leurs difficultés quotidiennes afin de sensibiliser le milieu à leur besoin d'être épaulées.
Daniel Baril