Au début des années 1960, le Québec mettait en branle une révolution sociale et économique dans le but de créer un État moderne et d'accélérer son développement dans tous les secteurs de la société. Concentrée sur trois décennies, la Révolution tranquille a fondamentalement changé les façons de faire et a permis aux Québécois de délaisser un mode de vie axé principalement sur une économie traditionnelle et de s'engager activement à bâtir les infrastructures nécessaires à une économie moderne. Les réalisations de la Révolution tranquille, en particulier un investissement de rattrapage massif en éducation, ont bien servi le Québec. La réforme des structures de l'enseignement primaire et secondaire et la transformation des collèges classiques ont permis aux jeunes du Québec d'accroître leur niveau de scolarité. À cette époque, en effet, 50% des jeunes du Québec avaient quitté l'école avant l'âge de 15 ans, le taux le plus bas de fréquentation scolaire au Canada, et l'on ne dénombrait que 7% de jeunes qui se rendaient à l'université. De plus, seule l'Université McGill était une grande université de recherche de renommée internationale.
Le développement de l'enseignement et de la recherche
universitaire
L'enseignement et la recherche universitaires ont connu au Québec
un développement d'une intensité et d'une qualité
remarquables. Rappelons-nous qu'en 1960 l'ensemble des universités
québécoises n'accueillaient que 25 000 étudiants
et l'activité de recherche y était plutôt
anémique. En moins de 40 ans, les universités québécoises
se sont développées au point qu'elles forment maintenant
quelque 238 000 étudiants et que leurs professeurs obtiennent,
sur la scène canadienne, 30,3% des fonds de recherche du
Conseil de la recherche médicale (CRM), 23,3% de ceux du
Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie
(CRSNG) et 28,1% de ceux du Conseil de recherches en sciences
humaines (CRSH).
Cette évolution phénoménale a été réalisée en dépit du fait que les universités québécoises souffraient d'un sous-financement important par rapport aux universités canadiennes et américaines comparables. Ce sous-financement fut d'ailleurs reconnu par le ministre de l'Éducation d'alors, M. Claude Ryan, vers la fin des années 1980. Pour y remédier partiellement, il augmenta alors la subvention gouvernementale et permit une hausse des frais de scolarité. Il est donc établi que les universités québécoises ont été extrêmement performantes, si on les compare à leurs semblables en Amérique du Nord.
Ces efforts de la société québécoise et des instances de nos universités tombaient à point nommé et lui permettent maintenant de s'insérer harmonieusement dans cette économie du savoir de plus en plus globalisée. Il faut reconnaître, en effet, que les emplois se créent de nos jours massivement dans les industries à forte concentration de savoir. Ces industries sont aussi celles qui rémunèrent le mieux leurs employés et qui sont les plus soumises à la concurrence internationale. C'est ainsi que, depuis 1990 au Québec, les emplois exigeant un niveau de scolarité postsecondaire et universitaire ont augmenté respectivement de 28% et 48% alors que ceux requérant une formation de niveau primaire et secondaire ont diminué de 38% et 25%. Cette tendance lourde ne fera que s'accentuer dans les années qui viennent.
Il n'est donc pas surprenant que le Conseil de la science et de la technologie, dans son étude publiée en juin 1998, démontre que les universités québécoises deviennent des acteurs majeurs dans une économie de plus en plus dépendante du savoir et de l'innovation. La matière grise constitue la ressource la plus importante et la plus en demande dans cette nouvelle économie. D'où un rôle accru des universités, en particulier des universités fortement impliquées dans la recherche, comme lieu de formation de la relève scientifique et comme moteur d'invention et d'innovation.
Dans un monde de plus en plus intégré sur le plan économique, la vitalité d'un pays dépend directement de son intégration dans les grands courants internationaux. Les universités, en particulier celles qui sont fortement impliquées en recherche, jouent un rôle central dans cette intégration, et ce, de multiples façons:
Par ailleurs, les universités québécoises, tout particulièrement l'Université de Montréal, l'Université McGill et l'Université Laval, jouissent d'une excellente réputation sur la scène internationale comme en font foi les quelque 7000 étudiants étrangers qu'elles attirent ensemble annuellement. Pour qu'elles puissent continuer à jouer pleinement ce rôle et à le développer en appui à l'action internationale croissante de la société québécoise, elles doivent pouvoir rester compétitives à l'échelle internationale et elles doivent disposer des moyens financiers pour ce faire.
Dans ce contexte, il est normal que la société québécoise devienne de plus en plus exigeante à l'égard des universités. Elles doivent non seulement offrir un enseignement à la fine pointe des connaissances mais aussi se maintenir dans le peloton de tête quant à la création du savoir, le tout dans un contexte de concurrence canadienne et, surtout, internationale, autant pour le recrutement des meilleurs étudiants que pour celui des professeurs les plus performants. On ne peut pas avoir de telles exigences auprès des universités québécoises sans leur donner accès à des ressources comparables à celles détenues par les universités canadiennes et américaines concurrentes. Or, c'est précisément le contraire qui se produit au Québec depuis cinq ans.
L'effet des coupures
L'ampleur, sans précédent, des coupes effectuées
par le gouvernement du Québec dans ses subventions aux
universités a contraint ces dernières à se
départir collectivement de quelque 900 professeurs (soit
l'équivalent du corps professoral complet de l'UQAM), à
réduire le nombre de leurs cadres de 13%, de professionnels
de 5% et leur personnel de soutien de 10% ainsi que le budget
des bibliothèques, et à accumuler un déficit
global de l'ordre de 300 millions de dollars (soit l'équivalent
du budget annuel de l'Université Laval). Malgré
ces mesures draconiennes de réductions structurelles de
leurs dépenses, toutes les universités québécoises
connaîtront un déficit opérationnel en 1998-1999
et aucune ne conçoit comment, dans le contexte actuel,
elle pourra retrouver l'équilibre budgétaire. Il
ne faut pas avoir peur des mots: la situation des universités
québécoises est catastrophique.
Nous devons même avancer et affirmer que les assises mêmes de la Révolution tranquille et de tous les efforts déployés depuis sont remis en question à l'heure actuelle par cette réduction brutale des ressources des universités québécoises dans l'absolu et, relativement, par rapport aux universités de l'ensemble du continent nord-américain dotées de structures de financement plus souples, moins réglementées et permettant de compenser, le cas échéant, la chute de leur financement public.
Un financement qui ne fait plus le poids
En comparaison des universités canadiennes et américaines,
le financement des universités québécoises
ne fait plus le poids. Selon les données de l'Association
des universités et des collèges du Canada (AUCC),
le réseau universitaire québécois a connu
une baisse de 21% de sa subvention gouvernementale entre 1993
et 1998 (30% en incluant les coûts du système) alors
que la baisse moyenne de cette subvention dans le reste du Canada
était de 11%. Par ailleurs, dans les autres provinces,
les frais de scolarité, qui étaient déjà
plus élevés qu'au Québec, se sont accrus
durant la même période de 35% (44% en excluant la
Colombie-Britannique). Si au Québec la hausse des droits
de scolarité a contribué à n'amenuiser la
réduction de la subvention gouvernementale que de deux
ou trois points de pourcentage, au Canada comme aux États-Unis
elle a, règle générale, compensé entièrement
la perte de revenus gouvernementaux et a même, dans certains
cas, généré des surplus budgétaires.
Le financement par étudiant était déjà
plus faible au Québec qu'ailleurs en Amérique du
Nord. On peut imaginer dans quelle situation relative nos universités
se retrouvent maintenant.
L'essor fulgurant de la technologie accélérant le processus de mondialisation dans tous les secteurs, les universités québécoises ne seront plus concurrentielles, à moins d'un changement radical et immédiat dans la politique de financement des universités par le gouvernement du Québec. Nous soumettons que le gouvernement québécois doit donc, de toute urgence, revoir sa politique de financement des universités en mettant l'accent sur les trois éléments suivants qui découlent de la nécessité absolue de faire de nos universités des universités concurrentielles dans une économie du savoir de plus en plus globalisée.
Pour éviter que les universités québécoises ne soient systématiquement déclassées dans le continent nord-américain, le gouvernement du Québec doit, dès que possible, rétablir leur base de financement et leur donner accès, dans les trois années qui viennent, à des revenus supplémentaires minimaux de 400 millions de dollars. La méthode retenue pour accroître ces ressources est la responsabilité du gouvernement. Mais nous voulons souligner que toute décision relative aux frais de scolarité:
Nous souhaitons que le gouvernement, dès maintenant, donne suite à la recommandation du Comité sur le financement des universités (qui a remis son rapport au printemps 1997), qui demandait de revoir les paramètres de la formule de financement des universités pour donner un poids plus réaliste aux études des 2e et 3e cycles, aux secteurs professionnels plus exigeants et aux activités de recherche.
Par ailleurs, en matière de création du savoir, de sa transmission et de ses applications, le Québec, pour demeurer concurrentiel, n'a d'autre choix que de s'arrimer aux moyens adoptés par les meilleurs concurrents, eu égard à la formation et à la recherche universitaire. La formule de financement des universités doit comprendre un paramètre de comparaison externe. Ce financement des universités n'est pas à fonds perdus. Ne serait-ce qu'en ce qui a trait à l'impact de la recherche universitaire sur le PIB, une étude récente démontre qu'elle s'élevait, en 1993, à 15,5 milliards de dollars et qu'elle était génératrice de 150 à 200 000 emplois directs et indirects. Dans la mesure où le gouvernement du Québec donnera à ses universités les moyens de leur excellence, il pourra et devra évaluer régulièrement et rigoureusement la performance de ces institutions en comparaison de celle des universités homologues des réseaux canadien et américain.
Conclusion
Le Québec a déjà raté le pari de l'éducation
dans la première moitié du 20e siècle et
il souffre encore de cette erreur historique. Une opération
majeure de rattrapage s'est effectuée à partir du
début des années 1960 sous l'impulsion de politiciens
et d'intellectuels d'envergure et clairvoyants. Ces efforts et
ces investissements considérables ont permis à la
société québécoise de ne pas être
complètement écartée de l'économie
du savoir qui façonne notre présent et dominera
notre avenir. Le travail était, cependant, loin d'être
terminé et c'est pourquoi la situation actuelle des universités,
à la suite des compressions budgétaires sans précédent,
est aussi dramatique quant à l'avenir non seulement de
ces institutions, mais aussi de la société québécoise
dans son ensemble. Il ne faut pas répéter l'erreur
que nous avons collectivement commise dans la première
moitié du 20e siècle.
Les coûts d'un nouveau sous-investissement
en éducation seraient, dans la présente économie
du savoir, sans commune mesure avec ceux que nous avons déjà
supportés pour un sous-investissement antérieur.