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Fétichisme et sadomasochisme aux Belles Soirées

Luc Granger parlera de ces nouvelles formes d'érotisme.

À la fin des années 1970, le psychologue Luc Granger reçut en consultation un couple dans la trentaine, de la classe moyenne, qui traversait une crise conjugale. Au cours de la thérapie, le psychologue apprit que ce couple pratiquait des activités de fétichisme et de sadomasochisme. "Cela n'avait rien à voir avec leur problème conjugal, notez bien. D'ailleurs, la thérapie leur a permis d'y voir plus clair et ils sont toujours ensemble, 20 ans plus tard."

Pourtant, une étincelle avait jailli dans l'esprit de l'actuel directeur du Département de psychologie. Comment des gens "normaux" pouvaient-ils, après avoir couché les enfants, se vêtir de cuir et s'enchaîner à des supports pour se fouetter à la cravache au moment de faire l'amour? La curiosité et bien entendu la rigueur scientifique propre aux chercheurs universitaires poussèrent le psychologue à vouloir en connaître plus. "J'ai demandé à ce couple-là de me présenter à d'autres adeptes et j'ai pu entrer en contact avec tout un monde que je ne soupçonnais pas. Une de mes premières surprises a été d'y trouver des gens ordinaires. Des gens qui ressemblent à nos voisins de palier ou à nos collègues de travail."

Privilégiant l'approche dite d'"observation participative", M. Granger a assisté à des fêtes fétichistes et est devenu membre de clubs organisés où se pratique ce type d'activités. Il s'est même rendu au célèbre bar The Vault, à New York, où la chanteuse Madonna a tourné des vidéos fétichistes qui ont décoiffé l'Amérique.

Pénétrons avec lui dans ce haut lieu du fantasme "Fais-moi mal".

"On y est accueilli par un portier de 275 livres qui ressemble à l'incroyable Hulk. Puis, on emprunte un escalier au bas duquel un gardien nous fouille à l'aide d'un détecteur de métal. Ensuite, on passe au vestiaire, où tout un assortiment d'accessoires est mis à la disposition de la clientèle. Certaines personnes se dévêtent complètement et s'attachent une laisse au cou avant d'aller prendre un verre de jus (l'alcool est interdit). Du coin de l'oeil, on peut voir une femme discuter tranquillement au bar pendant qu'un homme lui lèche les bottes."

Règles d'éthique
Après deux décennies d'observations, Luc Granger a accumulé les transcriptions de 110 entrevues avec des couples adeptes de cette forme d'érotisme. Seul le temps lui manque pour publier les résultats de ses recherches. Mais ça viendra, promet-il. En attendant, dans le cadre de la série sur l'érotisme présentée par les Belles Soirées de la Faculté de l'éducation permanente, M. Granger présentera les grandes lignes de sa réflexion sur ce "modèle ultime d'expression de l'abandon amoureux" le 6 décembre prochain.

Bien que cela puisse sembler scandaleux à l'esprit de plusieurs, la pratique du sadomasochisme en Amérique est balisée par une série de règles scrupuleusement appliquées. "On ne fait pas tout ce qu'on veut dans une fête fétichiste, explique Luc Granger. On s'entend par exemple sur le safe-sane-consensual, qui signifie qu'on respecte la sécurité des rapports sexuels, de même que le consentement des participants."

Par définition, le sadomasochisme explore les limites du tolérable. La sensation de la douleur fait donc partie du plaisir recherché. Mais pour ne pas aller trop loin, on convient à un mot clé qui, s'il est prononcé, arrêtera subitement les ébats.

Un groupe montréalais que M. Granger a pu observer au cours de sa recherche avait des critères très stricts pour élargir ses rangs. D'abord, seuls les couples recommandés par des membres en règle étaient acceptés. Ensuite, on surveillait leur respect des règles avant qu'ils soient autorisés à signer leur formulaire d'adhésion.

À ses yeux, il n'y a pas lieu de condamner cette pratique, car elle se déroule entre adultes consentants et n'a pas d'autre objet que de procurer du plaisir. "J'avoue qu'au début je m'attendais à trouver une forte concentration de personnalités déviantes. Pendant mes observations, j'ai modifié mon point de vue. Oui, il y a des gens bizarres, mais pas plus qu'ailleurs."

Signe des temps, le Diagnosis and Statistics Manual, sorte de bible des psychologues et psychiatres où l'on retrouve la liste des maladies mentales documentées, ne considère plus la pratique sadomasochiste et fétichiste comme une pathologie. "Si cette pratique est consensuelle et ne rend pas les participants dysfonctionnels, où est la pathologie?"

Jeux imaginaires
À titre d'expert, Luc Granger intervient depuis plusieurs années auprès des agresseurs sexuels dans des centres spécialisés. Il en connaît donc assez long sur les phénomènes de déviance. "Pour les cas lourds que je traite, les fantasmes de domination ne sont pas des jeux. C'est toute la différence. Les adeptes de fetish nights ou les clients du Fetish Café, à Montréal, prennent plaisir à jouer un rôle d'homme soumis ou de femme dominante. Cela dure un certain temps, puis ils reviennent à leur vie normale. Les délinquants sexuels ne font pas de telles nuances."

Une grande part d'imagination entre en jeu dans les soirées sadomasochistes, où les vêtements minimalistes en cuir noir et les chaînes sont prisées mais où l'alcool est souvent interdit. "Quand une avocate d'un grand bureau se met à quatre pattes en implorant son maître de ne pas lui faire de mal, elle doit mettre sa rationalité de côté. Sinon, elle va se rendre compte que tout cela est ridicule."

Il ne faut pas oublier qu'il y a une part d'imagination dans toute forme d'érotisme. D'ailleurs, M. Granger a remarqué que pour les personnes soumises ces séances constituent l'exercice de relaxation le plus efficace.

Si les fantasmes sadomasochistes sont relativement courants chez l'adulte normalement constitué, les personnes qui passent aux actes ne compteraient que pour 5% à 10% de la population, estime M. Granger. Certains amateurs ne vivent que des épisodes fétichistes alors que d'autres adoptent ces fantasmes pour le reste de leur vie. Mais même pour ces derniers, la ferveur peut varier d'une année à l'autre.

Qu'en est-il de cette vieille idée voulant que les personnes ne doivent pas vivre tous leurs fantasmes, au risque de perdre leur équilibre psychologique? "Il est vrai que certains individus seront bouleversés s'ils vivent mal leur premier passage à l'acte. D'où l'importance d'être accompagnés par des gens expérimentés. Mais d'autres découvrent une facette de leur personnalité qu'ils ne soupçonnaient même pas. Ils se révèlent à eux-mêmes."

Mathieu-Robert Sauvé


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