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Des souris transgéniques à la rescousse des sidéens

Le Dr Paul Jolicoeur publie dans Cell une découverte majeure.

Le Dr Paul Jolicoeur présente l'une de ses plus fidèles collaboratrices, une souris transgénique, qui lui a permis une découverte majeure en recherche sur le sida.

Une expérience menée au laboratoire de Paul Jolicoeur, à l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), pourrait permettre de comprendre pourquoi certaines personnes atteintes du sida meurent en deux mois alors que d'autres survivent 15 ans. Cette découverte ajoute une pierre importante à la mise au point d'un éventuel vaccin anti-sida.

"On savait que la virulence du virus du sida était variable. Notre découverte a permis d'identifier le gène responsable de cette virulence grâce à une lignée de souris transgéniques", explique à Forum le chercheur actuellement sollicité par plusieurs compagnies américaines pour exploiter la découverte présentée récemment dans la revue Cell.

Actuellement, le chimpanzé est le seul modèle animal utilisé dans les laboratoires spécialisés dans la lutte contre le sida. Un modèle qui est souvent montré du doigt par les mouvements anti-vivisection, en plus d'être coûteux et d'avoir un cycle reproductif extrêmement lent. De plus, le virus du sida des chimpanzés est légèrement différent de celui qu'on retrouve chez l'homme.

Par comparaison, la lignée de souris mise au point à l'IRCM reproduit le phénotype de la maladie de manière presque identique à celle de l'homme. Et la communauté scientifique peut compter sur un siècle de connaissances génétiques et biologiques acquises grâce à des expériences en laboratoire avec la souris.

"Toute la médecine expérimentale s'appuie sur l'accès à de bons modèles animaux, reprend le Dr Jolicoeur. Reproduire la maladie chez un animal de laboratoire pour en étudier la progression est la meilleure façon de faire avancer les connaissances. La poliomyélite a eu ses modèles, le cancer et la malaria aussi. Ce n'est pas pour rien que le National Institute of Health a défini comme priorité la mise au point d'un modèle animal fiable dans sa lutte contre le sida. Nous avons relevé une partie du défi."

La création d'une lignée
Moins de cinq laboratoires au Québec possèdent l'expertise pour modifier génétiquement des souris. Cette opération, devenue routinière après avoir été révolutionnaire, consiste à implanter un gène étranger (ici la protéine Nef du VIH) dans un embryon. Une mère porteuse met ensuite bas et l'on peut observer les individus atteints. Certains ne survivent pas 22 jours, preuve que la maladie est très agressive.

Mais le seul fait d'identifier ce gène Nef a constitué un "travail monumental", selon l'expression du Dr Jolicoeur. Par comparaison, le fait de chercher une aiguille dans une botte de foin apparaît comme un jeu d'enfant. Il s'agissait de créer des lignées différentes à partir de certains gènes dont on soupçonnait le rôle dans l'expression de la maladie. Une vingtaine de lignées ont ainsi été conçues avant la découverte du gène responsable. "Je crois que notre force a été de cibler les cellules épithéliales, et particulièrement les macrophages", dit-il.

Mettre à la disposition de la communauté scientifique un modèle animal fiable n'est pas la seule retombée de la recherche menée au Laboratoire de biologie moléculaire de l'IRCM. Dès maintenant, on pourrait techniquement savoir si la souche du virus d'un patient est virulente ou non. Cette opération servirait à préciser le pronostic de la maladie. Le seul problème, actuellement, est que le test prendrait une dizaine de mois avant de livrer des résultats fiables.

Le Dr Jolicoeur tient tout de même à dire que les choses, dans la réalité, ne sont pas aussi simples qu'elles en ont l'air. S'il ne fait plus de doute dans son esprit que le gène découvert est bien responsable de la virulence de la maladie, certains patients qui survivent longtemps possèdent peut-être eux-mêmes des gènes de résistance qui faussent les données. D'autres recherches sont donc nécessaires.

22 ans de recherche
Si ce professeur à la Faculté de médecine depuis 1976 refuse de considérer cette découverte comme la plus importante de sa carrière ("je ne renonce pas à faire mieux", dit-il), il admet que l'agenda de son laboratoire pourrait être dicté par ces souris transgéniques au cours de la prochaine décennie. "À première vue, je dirais que nous avons une centaine d'expériences à faire à partir de celles-ci. En tout cas, l'article a un très bon impact."

En effet, moins d'un mois après la parution de l'article dans la plus prestigieuse revue de biologie moléculaire au monde, le 16 octobre dernier, quatre compagnies avaient communiqué avec le directeur de laboratoire pour lui offrir de collaborer à des expériences. Et il n'a jamais été tant sollicité pour donner des conférences dans des congrès internationaux.

À 53 ans, le Dr Jolicoeur a certainement encore beaucoup à donner à la recherche scientifique. Et l'on peut s'attendre à ce que cette étoile montante, déjà membre de la Société royale du Canada et couronnée du prix Léo-Parizeau de l'ACFAS en 1992, soit remarquée par d'autres jurys de prix prestigieux.

Mathieu-Robert Sauvé



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