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Révolution juridique en Chine

La Faculté de droit participe à un important projet de formation de la magistrature chinoise.

Le professeur Li Xiaoping, de la Faculté de droit de l'Université de Wuhan, accompagnant ici Jacques Frémont, est à Montréal depuis mai dernier afin de préparer une série de séminaires à l'intention des professeurs qui participent au projet de formation des juges chinois.

Il peut sembler pour le moins surprenant que des professeurs de droit d'un pays comme le Canada participent à la formation des juges d'un pays comme la Chine. C'est pourtant l'étonnant projet dans lequel est engagée la Faculté de doit de l'Université de Montréal, en consortium avec l'Université McGill et l'Institut canadien d'administration de la justice.

"La Chine connaît en ce moment une réorganisation complète et profonde de son système juridique afin de s'adapter à la nouvelle réalité d'une économie de marché sur le plan international, explique Jacques Frémont, directeur du Centre de recherche en droit public et également directeur de ce projet de formation de la magistrature. Ce changement de régime nécessite la réécriture des lois, des modifications considérables dans la façon de procéder et surtout un changement de mentalité de la part de tous ceux qui interviennent dans le système juridique."

M. Frémont n'hésite pas à qualifier l'opération de véritable révolution. "Ils sont en train de passer d'un système de type inquisitorial - où la séparation des pouvoirs, la présomption d'innocence et les procès devant jury n'existent pas - à un système de type contradictoire se rapprochant du nôtre, où la cour doit déterminer la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. Mais les tribunaux ne connaissent pas les principes sous-jacents à une telle approche et ne savent pas trop ce que cela veut dire."

Équipe Canada
C'est ici qu'entre en scène la Faculté de droit pour contribuer à former des juges à cette nouvelle approche. Le projet, auquel l'ACDI consacre quatre millions de dollars sur trois ans, résulte d'une rencontre entre le premier ministre Jean Chrétien et le président chinois Li Peng lors de la tournée d'Équipe Canada en Asie en 1994. Les deux chefs d'État ont convenu d'une telle coopération dans le contexte de l'ouverture économique de la Chine.

Les facultés de droit de l'UdeM et de McGill accueilleront 13 stagiaires chinois dès janvier prochain et 15 autres en septembre 1999 pour des séjours de 10 mois. Ils recevront une formation en philosophie du droit, pratique judiciaire, droit substantif, droit constitutionnel, droit pénal, droit privé et même pédagogie puisque ces juges agiront eux-mêmes comme formateurs lors de leur retour en Chine.

Ces juges sont rattachés à la Cour suprême populaire de Chine qui a créé, il y a deux ans, son propre institut de la magistrature. En Chine, les juges ne sont pas nommés par le pouvoir, mais ont choisi la magistrature comme spécialisation durant leur formation universitaire en droit.

"D'autres ententes semblables ont été conclues par la Chine avec la France et l'Allemagne, mais le projet canadien est de loin le plus important, souligne Jacques Frémont. Les Chinois sont intéressés par le Québec parce qu'ils peuvent retrouver ici à la fois la tradition civiliste et celle de la common law. De plus, ils veulent éviter l'exemple de la Russie, qui a glissé vers le capitalisme sauvage. Ils veulent maintenir un régime socialiste et le Canada, avec son filet de protections sociales et son libre marché, leur plaît. D'autant plus que nous n'avons pas de visées colonialistes."

Volonté de changement
Le professeur, qui revient d'un séjour en Chine où il a participé à des séminaires de formation, a été impressionné par ce qu'il a vu. "Les gens engagés dans ce projet sont de très haut calibre, parfaitement bilingues et très bien formés. Ils pourraient enseigner ici demain matin."

À propos de l'incontournable question des droits humains, abordée de nouveau lors du récent voyage du premier ministre canadien, Jacques Frémont note une réelle volonté d'ouverture, même si ce n'est pas encore notre notion de droits fondamentaux qui sous-tend le système juridique.

"Ils veulent en finir avec l'arbitraire et la corruption, dit-il. Mais tout ne peut pas être changé du jour au lendemain. La Chine a déjà signé les protocoles internationaux de l'ONU, dont le Pacte sur les droits civils et politiques et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ceci était impensable il y a 15 ans, alors que l'État passait avant l'individu et niait le droit de propriété. Cette ouverture montre que la Chine est prête à adopter l'approche reconnue sur le plan international. L'objectif du projet est de soutenir cette ouverture et de transformer le discours en action concrète."

Et ce projet n'est qu'un début; il y a 180 000, et bientôt 200 000, juges à former en Chine! Et le projet de formation a déjà donné lieu à d'autres projets de recherche, notamment en culture juridique comparée. "L'Université de Montréal est sans doute en Chine pour un bon bout de temps", croit Jacques Frémont.

Daniel Baril


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