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Le dogme du "tout vient des gènes" ne tient plus

Le clonage reproductif apporte une révolution conceptuelle en biologie et de nouveaux défis éthiques.

Henri Atlan

Comme les dogmes n'existent que pour être abolis, une autre certitude vient d'être renversée par l'avancée des connaissances scientifiques. "Nous assistons à la fin du dogme biologique voulant que toute l'information nécessaire à la réplication soit codée dans les gènes", affirme le Dr Henri Atlan, professeur de biophysique aux universités de Paris VI et de Jérusalem.

Selon le Dr Atlan, qui était l'invité il y a deux semaines des Belles Soirées de la FEP et des conférences Augustin-Frigon de Polytechnique, le modèle biologique voulant que toute l'information aille de l'ADN vers les protéines est remis en question par la découverte des prions et par le succès de la méthode de clonage ayant conduit à la naissance de la brebis Dolly.

Les prions - comme ceux responsables de la maladie de la vache folle - sont des protéines privées de molécules d'ADN et qui arrivent quand même à se reproduire. "Toute l'information nécessaire n'est donc pas contenue dans l'ADN et ceci entraîne une révolution conceptuelle", déclare le professeur.

La différenciation cellulaire qui se produit au moment de l'embryogenèse montre également les limites du modèle ne reposant que sur le rôle des gènes. "Les cellules de foie et les cellules de peau contiennent les mêmes gènes, mais se divisent en conservant leurs différences. Le produit ne résulte pas que de la structure génétique, mais dépend de l'état d'activité de la cellule."

Selon la nouvelle façon de voir, l'ADN n'agit plus comme le programme de la réplication; il joue plutôt le rôle de données entrant dans le programme. "Ceci déplace donc le centre du déterminisme génétique du gène lui-même vers le milieu épigénétique, observe Henri Atlan. Ce n'est pas seulement le gène, mais l'interaction entre le gène et les protéines qui donne le sens à la multiplication cellulaire. S'il est vrai que la fonction des organes dépend de l'activité des protéines qui, elles, sont codées dans l'ADN, la molécule d'ADN seule est une molécule inerte qui ne peut se répliquer sans l'action des protéines."

L'impossible Dolly
Le dogme du "tout vient des gènes" a reçu son coup de grâce avec la naissance de Dolly, la brebis clonée.

Le caractère sensationnel de ce clonage réside dans le fait qu'on a utilisé le noyau d'une cellule différenciée pour rendre un ovule totipotent, c'est-à-dire pouvant enclencher le mécanisme de la différenciation.

"Le dogme disait qu'il était théoriquement impossible qu'une cellule différenciée redevienne totipotente parce que la différenciation était vue comme le résultat du programme génétique.

"L'expérience a pourtant montré que c'était possible, souligne le Dr Atlan. Le noyau contenant l'ADN a donc été reprogrammé par le cytoplasme, ce qui nous montre de nouveau que le programme de développement n'est pas réduit à l'ADN, mais qu'il se trouve dans l'interaction du milieu et de l'ADN. Le cytoplasme contrôle ainsi le génome tout autant que le génome contrôle l'organisme. Ceci est d'une importance capitale."

Problèmes éthiques
Pour Henri Atlan, qui est également membre du Comité français d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, ces découvertes ouvrent la voie à des avenues tout aussi fascinantes que terrifiantes.

Le clonage pourrait par exemple servir à fabriquer des tissus, comme de la peau ou d'autres organes, en vue d'une greffe ou d'une transplantation.

Mais le médecin éthicien est totalement opposé à l'application de cette technique pour reproduire un être humain identique à un autre. Après avoir fait le tour des différents arguments en faveur de cette avenue et contre celle-ci, il en arrive à considérer que le clonage reproductif risque de conduire à une nouvelle forme d'esclavage.

"Les clones seraient perçus et considérés comme tels et il y a un très grand risque de discrimination sociale pouvant nous amener jusqu'à 'la révolte des clones'. Ce serait une régression sociale plutôt qu'un progrès."

Les avantages qu'on pourrait en tirer en tant que méthode pour contrer l'infertilité ne font, à son avis, pas le poids face à de tels dangers.

Quant au désir de certaines personnes de se faire cloner, il y voit un "refus fantasmatique de la mort nous faisant projeter l'immortalité dans l'ADN. La médecine doit refuser de se mettre au service d'une pseudo-science visant à satisfaire un tel fantasme."

Tous les comités d'éthique que le Dr Atlan a consultés se sont dits opposés au clonage humain. Toutefois, ils n'ont présentement aucun moyen d'empêcher le développement de la recherche de ce côté. "La seule protection, c'est la législation, confiait-il à Forum. C'est la première fois que des questions éthiques se posent avant qu'une technique soit applicable à l'humain. Il faut profiter de ce temps pour l'interdire ou la rendre inutile même si l'on ne pourra jamais empêcher un criminel d'être criminel."

Daniel Baril


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