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La famille brisée au coeur des problèmes de délinquance

Pour Marc Ouimet, la situation familiale joue un rôle crucial dans le développement de la délinquance.

Marc Ouimet

"Quand on fait des études quartier par quartier, les chiffres démontrent que la famille brisée constitue le principal facteur de délinquance parmi d'autres éléments comme la pauvreté et les caractéristiques génétiques. Elle est donc un marqueur de délinquance." Professeur agrégé à l'École de criminologie et chercheur associé au Centre international de criminologie comparée, Marc Ouimet et ses collègues Pierre Tremblay et Carlo Morselli ont mené une vaste étude sur la sociologie de la délinquance à Montréal.

Leur rapport, "Analyse stratégique des facteurs démographiques, économiques et sociaux qui façonnent l'environnement du Service de police de la CUM", a relevé le taux de délinquance sur le territoire selon la nouvelle délimitation des 49 postes de police de quartier. À la lumière de cette étude d'"écologie criminelle", on constate que 31% des familles, soit près de 84 000, sont monoparentales. Certains quartiers connaissent des taux particulièrement élevés, tels Ville-Marie - Sud-Est (51%) et Centre-Sud (50%) ainsi qu'Hochelaga-Maisonneuve et Pointe-Saint-Charles - Saint-Henri (47%). Le taux de délinquance tient compte du nombre de jeunes et des caractéristiques familiales, économiques et ethniques du quartier.

L'isolement social
Pour Marc Ouimet, la débandade des familles, qui s'amorce à la fin des années 1970, a donné lieu au phénomène de l'isolement social, source de plusieurs cas de délinquance. Presque 30 ans plus tard, il estime que nous nous situons actuellement dans la deuxième génération du cycle.

Si le chercheur considère qu'autrefois la famille élargie, c'est-à-dire la parenté, voire l'Église et le curé, prenait le relais d'une famille désunie, ce n'est plus le cas aujourd'hui, sauf pour une infime partie. "Il n'y a rien qui puisse remplacer le réseau d'entraide familiale, qui offrait un soutien sur tous les plans. L'action communautaire est une bonne chose, mais ça ne fait pas de miracles", soutient-il.

Facteurs de délinquance
Outre la personnalité du sujet, trois facteurs expliqueraient l'incidence de la délinquance: le niveau de supervision de l'enfant, la qualité du système disciplinaire de même que la qualité des relations interpersonnelles, sources ou non de communication, d'amour et d'affection. Dans le cas d'une responsabilité familiale unique, qui suscite plus de conflits, le parent doit redoubler d'efforts. Dans ce contexte, l'investissement dans des activités sociales, scolaires ou sportives, qui engagent souvent tant le parent que l'enfant, peut permettre de prévenir la délinquance. Toutefois, signale le spécialiste, ces familles peuvent vivre des problèmes personnels, économiques ou de violence. Or, les signes de délinquance tels que les difficultés psychologiques, les problèmes scolaires, la consommation de drogues ou le suicide découlent tous, selon lui, de problèmes familiaux.

Caractéristiques sociodémographiques
Particularité propre au Québec, le taux de familles monoparentales, d'unions libres et de divorces y est plus élevé que dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis. Une résultante, pour Marc Ouimet, d'une perte d'intérêt pour la religion. La proportion de naissances hors mariage, qui s'élevait à moins de 10% en 1974, est passée à 55% en 1996. "Nous avons à la fois le mariage et l'union libre difficiles... et le divorce facile. Actuellement, 50% des enfants du Québec vont voir leurs parents se séparer avant d'atteindre l'âge de 18 ans", note le chercheur.

Des solutions
Pour renverser cette tendance vers l'éclatement des familles, Marc Ouimet préconise la promotion de la famille dans les politiques gouvernementales. "La famille traditionnelle, c'est le meilleur gage de succès à ce titre. Chacun des responsables des secteurs d'aide au gouvernement devrait tenter de trouver des moyens pour que les couples demeurent ensemble. Le système économique et social québécois pousse actuellement la famille vers la séparation. On a tendance à la désavantager au profit des célibataires. De plus, la protection légale demeure dans les cas de divorces en union libre."

Marc Ouimet penche aussi pour des initiatives de prévention en ciblant particulièrement les familles les plus à risque de se retrouver en situation de pauvreté et de monoparentalité. "L'argent devrait être donné en fonction des connaissances actuelles et des techniques reconnues. Il y a actuellement beaucoup de 'saupoudrage' et le milieu communautaire est souvent limité à l'initiative locale."

Le chercheur considère par ailleurs que, si l'on n'est pas vigilant, certaines actions peuvent engendrer des effets pervers. "Par exemple, avec les petits déjeuners offerts aux enfants à l'école, on est en train de déresponsabiliser la famille. On devrait plutôt investir dans des programmes d'éducation alimentaire", dit-il. Il cite également l'usage du Ritalin pour les enfants qui souffrent d'hyperactivité et s'inquiète de ses conséquences à long terme.

Marc Ouimet compte aller plus à fond dans ses recherches puisqu'il prépare un ouvrage sur l'évolution de la criminalité au Québec depuis 1960, ses caractéristiques, ses effets sur la société et les politiques sociales qui l'ont marquée.

Marie-Josée Boucher


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