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Marché du travail: les femmes plafonnent

De 1970 à 1990, l'arrivée des femmes sur le marché du travail a stimulé la création d'emplois.

Thomas Lemieux

Entre 1976 et 1990, le taux d'activité des femmes de 25 à 64 ans sur le marché du travail a progressé à un rythme constant de 1,4% par année. D'un peu moins de 50% qu'il était en 1970, ce taux est ainsi passé à 70% en 1990.

Puis, la croissance s'est brusquement arrêtée; le taux d'activité des femmes se maintient depuis autour de 70%. Thomas Lemieux, professeur au Département de sciences économiques et chercheur au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, a cherché à comprendre ce qui s'est passé au tournant de la décennie pour expliquer le phénomène.

"C'est d'abord en voulant comprendre pourquoi le marché de l'emploi au Canada avait considérablement chuté par rapport au marché américain en 1990 que nous avons constaté le plafonnement du taux d'activité féminine", indique-t-il. Alors qu'au cours des décennies 1970 et 1980 le taux global de main-d'oeuvre active au Canada suivait de très près celui des États-Unis, il s'en est brusquement écarté de cinq points de pourcentage - à la baisse bien entendu - en 1990.

En départageant le travail des femmes et celui des hommes, le chercheur a constaté que le taux d'emploi chez les hommes avait diminué de 92% à 86% entre 1976 et 1990. Dans la même période, les femmes ont occupé 2,2 millions des 3,5 millions d'emplois créés au Canada.

En tenant compte de la croissance démographique - la population canadienne ayant augmenté de 3,8 millions d'individus au cours de cette période -, Thomas Lemieux ramène l'augmentation réelle des emplois à 700 000. Même dans ce contexte relativisé, les femmes se seraient trouvées à occuper un million d'emplois de plus qu'en 1976, alors que les hommes en auraient perdu 300 000.

"En d'autres mots, le total des emplois au Canada aurait chuté entre 1976 et 1990, n'eût été la performance remarquable des femmes sur le marché du travail", affirme M. Lemieux.

Baby-boomers
Comment expliquer que ce mouvement se soit mis à plafonner depuis 1990? Pour débroussailler le tout, l'économiste a pris en considération trois facteurs: la conjoncture macroéconomique, la variation du taux d'activité féminine selon l'âge des femmes et les modifications de nature socioéconomique ayant entraîné des changements de comportement sociaux.

Il en ressort que la croissance du taux d'activité des femmes observé au cours des deux décennies précédentes et le plafonnement de 1990 s'expliquent principalement par un changement de mentalité amorcé par les femmes baby-boomers et ayant créé un "effet de génération".

"Les femmes baby-boomers se sont montrées beaucoup plus actives sur le marché du travail que celles de la génération précédente, explique Thomas Lemieux. Leur entrée sur le marché du travail faisait plus que compenser les départs des hommes." C'est ce qui explique non seulement la croissance constante de leur présence sur le marché du travail, mais la croissance globale du taux d'activité entre 1976 et 1990.

"Les femmes de la génération suivante, poursuit Thomas Lemieux, montrent pour leur part le même taux d'activité que les baby-boomers; ce qui veut dire qu'elles ont maintenu la même mentalité que leurs aînées à l'égard du travail. Si les choses se sont stabilisées en 1990, ce n'est donc pas parce que les femmes ont cessé d'investir le marché du travail, mais parce que le marché a atteint un plafond. Les femmes avaient un retard à combler par rapport aux hommes et le rattrapage est complété. Le marché a fait le plein de main-d'oeuvre féminine."

La conjoncture macroéconomique défavorable au marché de l'emploi depuis 1990 n'aurait joué qu'un rôle secondaire dans le plafonnement observé.

Ce plafonnement inquiète tout de même l'économiste. "Puisque c'est la main-d'oeuvre féminine qui a été au centre de la création d'emplois depuis 20 ans, le maintien du plafonnement de leur activité pourrait se traduire par une situation économique stagnante", craint-il.

Et ses craintes risquent de se concrétiser. Le chercheur entrevoyait une remontée du taux d'activité des femmes de 1% à 2% d'ici l'an 2000 en se fondant sur la reprise économique qui semblait se montrer le nez en 1996. Comme la marmotte au printemps, le reprise semble avoir déguerpi depuis.

Daniel Baril


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