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Le plus beau laboratoire de l'Université de Montréal!

André Bouchard donne un cours à ciel ouvert dans la forêt des Muir.

 
L'église de Saint-Anicet constitue un arrêt instructif pour les géologues en herbe qui veulent avoir une idée des minéraux du sous-sol. La dolomie domine nettement, mais on trouve quelques pierres de grès et de granit.

C'est par hasard que Ernest Rouleau, professeur à l'Université de Montréal, découvrit en 1954 une pinède unique au Québec. Le crédit en revient d'ailleurs plutôt à son fils, qui lui demandait pour la millième fois la différence entre un pin blanc et un pin rouge. "Ce n'est pas compliqué, répondit patiemment le pédagogue: le pin blanc a cinq aiguilles par rameau; le pin rouge en a deux."

Un peu plus loin, sur une route à l'est de Huntingdon, M. Rouleau stoppa la voiture à la lisière d'un boisé et invita l'enfant à mettre ses connaissances en pratique. "Ça marche pas ton truc, papa, lança ce dernier en exhibant une branche. Je compte trois aiguilles..."

Les explorateurs étaient tombés sur un site exceptionnel abritant la seule forêt de pins rigides (Pinus rigida) du territoire québécois. "Si vous regardez le paysage devant vous, explique le professeur André Bouchard à un groupe d'étudiants venus sur place par une belle journée d'automne, vous constatez que le sol est oligotrope [pauvre], un peu comme dans les régions nordiques. D'ailleurs, comme le pin gris, le pin rigide se reproduit essentiellement après un incendie de forêt."

Le dernier incendie a eu lieu en 1957, explique M. Bouchard. Cette date est facile à déterminer, car les flammes laissent une cicatrice sur l'arbre. On n'a qu'à compter les anneaux qui ont poussé après.

Le botaniste avait montré précédemment sur une carte géomorphologique que la forêt de pins rigides, devenue une réserve écologique en 1978, a colonisé un affleurement de roche-mère, un phénomène extrêmement rare dans une région autrefois recouverte par la mer de Champlain. D'ailleurs, la couche d'humus qui s'est accumulée sur le grès de Potsdam est très mince. Pas plus de 20 centimètres. À peine suffisant pour les pins rigides.

Cours d'immersion
La forêt de pins rigides n'était que le premier arrêt du groupe d'étudiants inscrits au cours BIO 1301 (Écologie forestière), auquel s'est joint Forum en ce 2 octobre. "L'objectif de ce cours, qui se déroule sur six vendredis, est d'apprendre aux étudiants à reconnaître les espèces d'arbres indigènes du Québec", explique André Bouchard.

Après une tournée des principales forêts de la région (mont Royal, boisés de Sarraguay et du cap Saint-Jacques, mont Orford, sud-ouest du Québec et Laurentides), les étudiants passent leur examen final au Jardin botanique de Montréal. Ils doivent nommer certains arbres et répondre à quelques questions à leur sujet. "Ce cours est assez perturbant, car les étudiants en savent presque autant que moi à la fin du trimestre", badine le professeur.

La tournée dans le sud-ouest consiste à montrer que l'activité humaine a un impact souvent insoupçonné sur la végétation. Par exemple, on a longtemps pensé qu'une cédrière de la région de Huntingdon devait son existence à un sol particulier. Or, des recherches récentes ont révélé que les vrais responsables étaient... les vaches. "Autrefois, les colons ne cultivaient pas les grandes plaines mal drainées de la région, explique notre guide. Ils occupaient plutôt les moraines comme celle-ci. Leurs vaches, qui broutaient les jeunes pousses, laissaient les thuyas de côté, question de goût... Ces arbres ont grandi et, depuis, sont dominants."

Par ailleurs, la végétation est en relation étroite avec les gisements rocheux sur lesquels elle s'enracine. Tout botaniste qui se respecte doit donc s'intéresser à la géologie. Comme il n'est pas aisé de connaître le sous-sol d'une région, M. Bouchard a trouvé un moyen original d'y accéder sans manipuler un marteau-piqueur: aller à l'église!

Les églises en pierre des champs représentent une exposition géologique permanente, car elles ont été construites avec le matériau disponible sur place. "À Rockburn, on trouve une charmante église protestante en grès tandis qu'à Saint-Anicet les murs de la cathédrale d'inspiration byzantine sont en dolomie. Le même phénomène s'observe ailleurs. À l'église Saint-Viateur, à Outremont, la pierre est celle du mont Royal."

Le plus beau labo de l'UdeM
"Nous voici enfin dans le plus beau laboratoire de l'Université de Montréal", lance M. Bouchard au moment de mettre le pied dans la Réserve écologique du Boisé-des-Muir. Cette forêt de pruches, de hêtres et d'érables, qui n'a jamais connu l'outillerie des défricheurs, a déjà ébranlé les connaissances sur la végétation "naturelle" du sud du Québec. Avant la découverte de cette forêt, on croyait que l'érablière à caryers était dominante. Faux. La pruche, le hêtre et même le chêne étaient des essences presque communes à l'époque des colons.

Quand le profane pénètre dans cette forêt, qui est déjà une vedette dans le monde botanique, rien de spécial ne lui saute aux yeux. Il ne peut pas voir que la majorité des arbres adultes ont atteint l'âge vénérable de deux ou trois siècles. Il ne peut pas voir non plus que la biomasse de cette forêt est plus lourde qu'ailleurs. Il peut tout juste remarquer quelques petits fanions témoignant de la présence de chercheurs.

En fait, chaque mètre carré de cette réserve écologique est cartographié, inventorié, analysé. Jusqu'à la quantité de lumière pénétrant sous le feuillage de juin, qui a été mesurée par une équipe de l'UQAM. La réserve compte 2000 arbres dont on connaît presque tout et qu'on suivra d'année en année dans différents projets de recherche.

Ce laboratoire à ciel ouvert était en place pour entamer des études sur un phénomène météorologique méconnu: le verglas. "Nous sommes venus ici au lendemain de la tempête de pluie verglaçante, relate André Bouchard. Anthropomorphistes, nous pensions que les individus les plus affectés seraient les vieux et les jeunes arbres. Erreur. Les vieux arbres ont très peu souffert de l'accumulation de glace. Les arbres de 10 centimètres de diamètre ont été les plus touchés."

D'un enthousiasme communicatif, M. Bouchard est intarissable à propos de cette forêt de 11 hectares découverte en 1988 par un de ses étudiants, Jacques Brisson. Les recherches ne font que commencer. On étudiera notamment la réitération (repousse) des arbres alourdis par le poids de la glace et qui sont demeurés arqués.

Aucune autre forêt connue date de l'époque précoloniale. Cela fait du boisé un endroit extrêmement précieux. Un problème de conscience apparaît cependant à l'horizon pour les chercheurs. Une cochenille menace la survie de plusieurs grands arbres. Comment réagir? Faudrait-il exterminer le parasite? Cela constituerait la première intervention humaine directe. "Nous avons le même problème avec la population de pins rigides, avoue M. Bouchard. Si un incendie de forêt survenait, la logique scientifique nous dicterait de ne pas envoyer de pompiers. En serons-nous capables?"

Mathieu-Robert Sauvé


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