Ces photographies que nous présente le professeur Jurgen Sygusch montrent quatre séries de cristaux produits à bord de la station Mir; ils révèlent une pureté de structure inégalée sur terre. |
La dernière série d'expériences de cristallisation de protéines effectuées par le professeur Jurgen Sygusch, du Département de biochimie, a de nouveau confirmé que les cristaux formés en apesanteur sont plus gros et plus purs que ceux formés sur terre, en laboratoire.
Depuis février dernier, le chercheur analyse les résultats de plus de 700 expériences de cristallisation effectuées avec 37 protéines ayant séjourné à bord de la défunte station orbitale Mir pendant quatre mois. Il s'agit là de la plus importante série d'expériences du genre faites par l'Agence spatiale canadienne dans le cadre du projet CAPE (Canadian Protein Crystal Growth Experiments), mettant à contribution 15 centres de recherche et, fait inusité, une douzaine d'écoles secondaires de l'ensemble du pays.
"Lorsque nous comparons les cristaux formés en apesanteur avec les cristaux témoins formés sur terre, on s'aperçoit que les blocs de mosaïques constituant le cristal de l'espace sont toujours plus grands", indique Jurgen Sygusch. C'est d'ailleurs pour obtenir des cristaux plus purs qu'on procède à ces expériences en microgravité.
"La cohérence de ces cristaux étant plus grande, on peut mieux en étudier la structure et plus facilement déceler le site actif de la protéine, ce qui facilitera la mise au point d'éventuels médicaments plus efficaces."
L'hypothèse des agrégats
Mais Jurgen Sygusch n'a pas voulu en rester à cette constatation;
il veut savoir pourquoi les cristaux formés dans l'espace atteignent
ce niveau de qualité. "Si l'on connaissait mieux le processus
de catalyse et les raisons qui conduisent à ces résultats,
on pourrait atteindre les mêmes résultats sur terre."
Et il a son hypothèse. "La protéine à cristalliser est présente dans la solution sous forme à la fois monomérique - c'est-à-dire de molécules simples - et d'agrégats constitués de plusieurs molécules. Sur terre, il y a de la turbulence dans les puits causée par la convection; ce brassage facilite le déplacement des agrégats qui se fixent au cristal et en perturbent la qualité."
"Dans l'espace, poursuit M.Sygusch, l'absence de convection et de turbulence fait que la vitesse de déplacement des agrégats est plus lente et ils sont ainsi moins nombreux à former le cristal. La microgravité agirait donc comme un filtre servant à ralentir les masses les plus grosses, d'où la plus grande pureté des cristaux constitués presque entièrement de monomères."
Selon le professeur, son équipe est la seule à disposer des données permettant de formuler et de vérifier cette hypothèse. Il aura d'ailleurs l'occasion de la vérifier avec le prochain vol de la navette, prévu pour le 29 octobre prochain. Soixante nouvelles expériences, à partir de huit protéines, seront de nouveau effectuées sur une période de 10 jours.
Cette courte période devrait faire en sorte que les cristaux contiennent encore moins d'agrégats, ce qui sera mesuré en analysant ce qui reste dans les solutions.
Si l'hypothèse est confirmée, il resterait à produire des détergents empêchant la formation d'agrégats sans nuire à la cristallisation.
Daniel Baril