Luc Hébert |
En soutenant sa thèse à l'École de criminologie le 25 septembre dernier, l'agent Luc Hébert, de la Sûreté du Québec, est devenu le premier policier en exercice de la province - le deuxième au Canada - à accéder au titre de docteur. "Comme individu, je me sens très riche et très fier de cet aboutissement", a-t-il déclaré à l'issue de six ans de travail, dont 18 mois à plein temps pour rédiger sa thèse sur l'évaluation du rendement des patrouilleurs.
En 1983, après 12 années de service dans la police, M. Hébert ressent une certaine lassitude dans l'exercice de sa profession. "Le milieu policier est un peu refermé sur lui-même, explique-t-il. Nous travaillons avec des policiers, sortons avec des policiers, faisons du sport avec des policiers... J'ai eu envie de connaître autre chose. Je me suis donc inscrit à un certificat en criminologie à la Faculté de l'éducation permanente. Depuis, je n'ai jamais cessé d'étudier."
Affecté à la protection des personnalités politiques (il a notamment eu à assurer la sécurité de René Lévesque), M. Hébert a dû composer avec des horaires variables afin de pouvoir étudier et remettre ses travaux à temps. Il a pu compter sur le soutien de sa famille et particulièrement de sa conjointe, qui a tapé et corrigé ses travaux à l'occasion. Il avoue d'ailleurs lui en être très reconnaissant.
Des policiers sur les bancs d'école
Signe des temps, Luc Hébert était l'un des rares policiers
de sa classe quand il a entrepris son premier certificat. Aujourd'hui, les
agents comptent parfois pour la moitié des inscrits dans certains
cours de criminologie. "J'ai assisté à une ouverture
impressionnante des milieux policiers à l'égard des études
universitaires au cours des dernières années, remarque M.
Hébert. C'est encourageant. Ça va dans le sens des conclusions
des rapports Corbo et Bellemare, qui souhaitaient une hausse de la scolarité
chez les policiers."
Au cours d'un entretien qu'il accordait récemment à Forum, le criminologue Maurice Cusson faisait remarquer que le corps policier était l'une des dernières bureaucraties à échapper aux diplômés universitaires. Hôpitaux, ministères, organismes publics ou entreprises privées, ils sont partout. "Même dans les services correctionnels, ils ont fait une entrée remarquée au cours des dernières années, disait-il. Pourtant, les milieux policiers en comptent encore aujourd'hui très peu."
D'ailleurs, l'accueil réservé au nouveau docteur n'a pas été unanime. Alors que les collègues de l'agent Hébert l'ont chaleureusement félicité, ses supérieurs n'ont pas répondu à l'invitation qui leur avait été faite d'assister à la soutenance. Ils n'ont même pas cru bon de lui adresser de message de félicitations pour sa réussite.
Par contre, on a honoré sa demande d'être muté à la Direction du développement et de la formation, où il aura la chance de mettre en pratique certains éléments de sa thèse. "C'est une belle occasion qui m'est offerte, dit-il. Ce ne sont pas tous les auteurs d'une thèse qui peuvent être appelés à l'appliquer dans la vraie vie."
Vive les certificats!
Le système actuel d'évaluation du rendement des patrouilleurs,
élaboré il y a 25 ans, est totalement désuet, constate
M. Hébert dans l'introduction de sa thèse rédigée
sous la direction de Jean-Paul Brodeur. Un système plus innovateur
doit "viser le développement, l'amélioration et la reconnaissance
des personnes et doit être suivi d'une rétroaction".
En termes simples, on demandera au patrouilleur d'évaluer lui-même son travail et au superviseur d'en faire autant. Au cours d'une rencontre, les deux professionnels discuteront de leurs points de vue respectifs en tenant compte de plusieurs critères. La recherche a permis de définir les compétences respectives des patrouilleurs, superviseurs et gestionnaires d'un service de police. Elles vont de la "force coercitive" aux qualités de communication et d'empathie, en passant pas la flexibilité, l'esprit d'équipe, la créativité, etc.
Toutes ces années passées à l'Université de Montréal ont permis à Luc Hébert d'apprécier un milieu à l'opposé de ce qu'il avait connu jusque-là. Un milieu qu'il décrit comme étant "ouvert à la réflexion et à la critique". Il plaide aussi pour l'existence des programmes de certificat, que certains voudraient voir éliminés. "Ces programmes m'ont permis d'entamer des études qui m'ont mené jusqu'au doctorat. Heureusement qu'ils existaient!"
Les policiers ont la chance, explique M. Hébert, de pouvoir prendre leur retraite de bonne heure. "Je ne voulais pas me retrouver sans rien devant moi, dit-il. Aujourd'hui, je me sens au début d'une nouvelle carrière..."
Mathieu-Robert Sauvé