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Le syndrome de Pinocchio: des nuances...

L'acceptable et l'inacceptable dans la conduite des politiciens

André Blais

Affaire Lewinsky à Washington, affaire du poivre de Cayenne à Ottawa, annonce d'élection à Québec. André Blais, professeur au Département de science politique, ne pouvait espérer meilleur contexte pour lancer l'ouvrage qu'il signe avec quatre de ses collègues canadiens, A Question of Ethics. Canadians Speak Out.

"On sait que la population juge sévèrement les politiciens et qu'elle s'attend à ce qu'ils aient des comportements éthiques modèles, observe le politologue. Mais qu'est-ce que les gens entendent par 'comportements éthiques' et jusqu'où peuvent-ils aller dans l'acceptation de conduites discutables de la part des politiciens? Nous n'avions aucune donnée permettant de cerner l'opinion publique sur ce sujet."

Les chercheurs ont donc interrogé 1400 personnes en leur présentant diverses situations ou dilemmes que doivent affronter les politiciens afin d'évaluer la perception du public à l'égard du mensonge, du conflit d'intérêts, des pots de vin et du favoritisme.

L'honnêteté apparaît comme la principale valeur attendue chez les politiciens - 77% des répondants la classent au premier ou au deuxième rang de l'échelle des valeurs -, mais la série de scénarios présentés révèle que les gens relativisent leur jugement.

Sus aux Pinocchio
Par exemple, 65% des répondants trouvent inacceptable qu'une promesse électorale de ne fermer aucun hôpital ne soit pas respectée, même pour faire face à une obligation de réduction de dépenses. Par contre, 60% trouvent acceptable qu'un député mente à un journaliste pour lui cacher qu'il souffre d'un cancer. Les mensonges n'ont donc pas tous le même poids.

"On veut que les politiciens soient honnêtes, mais on est prêt à accepter le mensonge dans certains cas, souligne André Blais. Les gens sont donc moins intolérants qu'on pourrait le penser et font des distinctions entre la vie publique et la vie privée."

Le jugement de la population est également nuancé dans le cas de l'acceptation de "récompenses". Une majorité trouve acceptable qu'un ministre conserve chez lui une sculpture reçue au cours d'un voyage dans les Territoires du Nord-Ouest, mais juge inacceptable qu'un député reçoive une bouteille de vin, à Noël, en remerciement de son intervention dans l'obtention d'un passeport.

"Dans ce dernier cas, on s'attendait à ce qu'il y ait tolérance parce que la récompense est minime. Mais une majorité considère un tel geste comme inacceptable, peut-être parce qu'elle y voit du favoritisme."

Même constat à l'égard de l'apparence de conflit d'intérêts. Près de 50% des répondants trouvent inacceptable qu'un ministre du tourisme soit propriétaire d'un grand hôtel, alors que seulement 40% pensent de même lorsqu'il s'agit d'un ministre de l'Agriculture qui serait propriétaire d'une grande exploitation agricole. "Probablement que l'agriculteur paraît moins riche que l'hôtelier aux yeux du public", commente le professeur.

Après chacun des scénarios présentés, les chercheurs ont posé la question suivante: "Croyez-vous que les politiciens agissent souvent de la sorte?" C'est là que les hommes politiques perdent des plumes. "Selon la perception générale, on pourrait croire que la corruption est très répandue chez les politiciens", affirme André Blais.

Cette perception est toutefois relativisée lorsque les politiciens sont comparés aux autres citoyens: 34% de la population pensent qu'ils ont un niveau d'éthique moins élevé que celui du citoyen moyen, mais 49% pensent que ce niveau est le même et 17% croient qu'il est plus élevé.

Intolérance ou rigueur éthique?
Le sondage fait par ailleurs ressortir plusieurs différences d'appréciation selon l'âge et le lieu de résidence des répondants.

Mentir pour protéger un ami, par exemple, est considéré comme parfois acceptable par 65% des jeunes alors que 55% des personnes âgées pensent que cela n'est jamais acceptable.

Selon André Blais, de telles différences entre les générations ne reflètent pas nécessairement une plus grande tolérance de la part des jeunes. "Dans ce type de scénarios, où il y a conflit entre deux valeurs, la bonne réponse n'est pas évidente; ce qui peut sembler de l'intolérance peut aussi être perçu comme une rigueur éthique plus grande, notamment de la part des personnes plus âgées."

Du côté des différences régionales, nous sommes plus nombreux au Québec à penser que la loyauté envers un ami est parfois plus importante que l'obéissance aux lois. Par contre, dans l'ensemble du sondage, le Québec et les Maritimes apparaissent comme moins tolérants que les autres provinces.

"À tort ou à raison, ces provinces ont la réputation 'folklorique' d'avoir eu des politiciens plus corrompus ou plus portés sur le favoritisme qu'ailleurs. Les gens sont peut-être devenus plus exigeants", avance le professeur.

Quant aux différences entre hommes et femmes, elles ne se sont pas avérées significatives.

André Blais conclut de ce vaste sondage que les gens attribuent très souvent des comportements inacceptables aux politiciens, mais que cette perception est probablement exagérée.

Les chercheurs poursuivront leur recherche en sondant cette fois les politiciens eux-mêmes afin de confronter leur pratique avec leur éthique.

Daniel Baril

Maureen Mancuso et collaborateurs, A Question of Ethics. Canadians Speak Out, Oxford University Press, 1998.


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