Pas si élémentaire, mon cher Watson!

Deux professeures de la Faculté de droit initient les "témoins experts" à la procédure criminelle.

Hélène Dumont

En droit pénal, un témoignage d'expert peut faire la différence entre un procès gagné ou un procès perdu dans la mesure où ce témoignage est bien préparé. Et le milieu judiciaire est un endroit miné si vous vous y aventurez sans formation adéquate.

Conscient du danger, le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du ministère de la Sécurité publique - mieux connu sous son ancienne appellation de Laboratoire médicolégal - a sollicité pour ses experts une formation sur mesure auprès de la Faculté de droit de l'Université de Montréal.

Quelque 75 spécialistes de diverses disciplines opèrent dans ce laboratoire et peuvent être appelés à fournir une expertise en médecine, en dentisterie, en balistique, en écriture, en analyse sanguine ou encore en alcoométrie destinée à établir la preuve dans certains procès criminels. Si experts soient-ils, ces spécialistes n'ont que très peu de formation en droit, voire aucune.

"Dans les procès, les avocats ont très peu de temps pour former ces experts sur le plan juridique", souligne Me Hélène Dumont, professeure à la Faculté de droit et qui a répondu, avec sa collègue Anne-Marie Boisvert, à la demande du Laboratoire. Comme il y a eu plusieurs départs à la retraite et que les jeunes recrues sont sans expérience, un problème se posait. Les plus anciens ont quant à eux reçu leur formation "sur le tas" et ont estimé qu'il devait y avoir d'autres façons de l'acquérir.

Rien que la vérité

"Pour bien faire son travail, l'expert doit bien comprendre comment s'élabore une preuve dans un procès criminel, explique Me Dumont. Il doit connaître le rôle des parties et les règles de droit, comprendre que sa preuve peut être dépendante d'une autre ou en soutenir une autre. Il doit aussi savoir qu'une expertise scientifiquement crédible peut être irrecevable à cause du contexte où elle a été obtenue. Par ailleurs, si certaines prémisses ne sont pas établies, l'expertise peut s'avérer sans fondement."

C'est sur ces éléments qu'a porté la formation donnée en équipe par les deux professeures de droit.

À titre d'exemple pour illustrer les problèmes que peuvent rencontrer les experts, Hélène Dumont cite le cas du procès d'O.J. Simpson. Le fameux gant taché de sang n'a pu servir à établir la preuve de la présence d'O.J. Simpson sur le lieu du crime, malgré le test d'ADN, parce que l'intégrité du policier ayant ramassé ce gant a été mise en doute; la gant avait-il été perdu ou déposé sur place?

"Il y a également un problème de compréhension entre les experts et les juristes, qui ne parlent pas le même langage. Il existe une différence, par exemple, entre la vérité juridique et la vérité scientifique. En droit, la vérité ou la certitude relève de la conviction, alors que les scientifiques parlent de probabilité ou de degré de certitude. Cela peut créer des doutes là où il ne devrait pas y en avoir."

Lorsqu'une preuve par ADN est fournie par exemple, la possibilité que la personne accusée ne soit pas celle identifiée par le code génétique n'est souvent que de une sur plusieurs milliards ou même centaines de milliards. On peut, bien en deçà de tels chiffres, parler de certitude.

"Les experts ont la responsabilité de se faire comprendre devant un accusé ou un jury, de produire des rapports intelligibles, tout comme le juge a le devoir d'éviter un langage hermétique."

Comme professeure de droit pénal, Hélène Dumont a trouvé cette expérience extrêmement intéressante. "Ce fut l'une des expériences d'enseignement les plus agréables, affirme-t-elle. Il a fallu ramasser toutes les connaissances sur cette problématique et rencontrer les experts pour connaître leurs besoins. Les témoignages des gens présents, dont certaines sommités en leur domaine, ont été des plus positifs."

Le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale envisage d'ailleurs une suite à cette formation en organisant des cours d'immersion et des ateliers de simulation.

Daniel Baril