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Médicaments et grossesse:
le continent noir

Jean-Louis Brazier étudie les effets des médicaments sur les femmes enceintes.

De nombreuses femmes enceintes se demandent pourquoi les deux tasses de café qu'elles sirotent le matin les empêchent de dormir le soir. Pourtant, cette habitude bien ancrée ne posait pas de problème avant la grossesse.

C'est une question de métabolisme! Le foie d'une adulte non fumeuse met de six à huit heures pour métaboliser la caféine. Si elle fume, ce temps peut être réduit de deux heures, car l'activité enzymatique est déjà sollicitée. Mais si cette femme tombe enceinte, l'organe mettra jusqu'à deux fois plus de temps pour assimiler et éliminer la caféine absorbée. L'activité enzymatique du foie subit les conséquences de l'activité hormonale considérable de la grossesse.

Ce qui est vrai pour la caféine l'est également pour les médicaments. "La grossesse provoque une véritable dérive métabolique, explique Jean-Louis Brazier, titulaire de la chaire pharmaceutique Famille Louis-Boivin. On connaît très mal les conséquences des médicaments sur les femmes enceintes."

Tenues à l'écart des tests de toxicité des nouveaux médicaments pour des raisons évidentes, les femmes enceintes connaissent un problème de dosage lorsqu'elles doivent être traitées. "La règle d'or serait d'éviter de consommer des molécules étrangères dès le début de la grossesse. Mais la santé de nombreuses femmes exige qu'elles prennent des antihistaminiques, des antidépresseurs ou d'autres médicaments. Comment réagissent-elles à ces traitements et comment les rendre plus efficaces? C'est ce que nous cherchons à savoir."

Les médicaments ne sont pas les seuls à faire problème. Une importante enquête menée en 1992 auprès de quatre millions d'Américaines enceintes a révélé que 5,5% des femmes consomment des drogues illicites durant leur grossesse. De plus, une sur cinq fume des cigarettes et une proportion similaire consomme de l'alcool. "On ne connaît pas encore l'effet de ces drogues sur leur métabolisme, note M. Brazier. Et encore moins sur leur foetus."

 

Physique et pharmacie

Professeur durant 27 ans à l'Université de Lyon 1 où il dirigeait un important laboratoire, M. Brazier s'est fait connaître pour ses recherches en spectrométrie de masse appliquées en recherches pharmaceutiques ainsi que pour l'utilisation des isotopes stables. C'est cette expertise qui lui a valu d'être nommé titulaire de la chaire le 14 juillet dernier. "À 50 ans, j'entame le second tome de ma vie", dit-il en boutade.

La technique qu'il a mise au point consiste à marquer un médicament avec un isotope stable, par exemple le carbone 13 ou l'azote 15, afin de suivre son évolution à l'intérieur de l'organisme. "Cela nous permet d'élaborer des techniques d'investigation et de diagnostic beaucoup moins invasives que celles que l'on connaît actuellement."

La technique traditionnelle de diagnostic de l'ulcère d'estomac, par exemple, consiste en une biopsie au moyen d'une sonde. Cela nécessite une anesthésie et provoque des lésions mineures. En 1990, le chercheur a mis au point un test respiratoire - le patient n'a qu'à souffler dans un tube - afin de détecter la présence de la bactérie responsable de l'ulcère grâce à la présence de CO2 marqué au carbone 13 dans son haleine. Précisons qu'il ne s'agit pas de marquage radioactif puisque l'isotope marqueur est stable et que sa présence est infinitésimale.

Ce sont ses connaissances en physique qui lui ont permis de concevoir cette technique, qui peut s'appliquer à un bon nombre de projets de recherche. On pense notamment pouvoir améliorer la posologie pour les futures mères et mieux connaître les effets des médicaments sur les foetus et sur les nouveau-nés allaités.

 

De Lyon à Montréal

Engagé officiellement le jour de la fête des Français, M. Brazier a été présenté par le doyen de la Faculté de pharmacie comme "sa dernière acquisition française". Cette anecdote fait sourire l'acquisition...

Après avoir laissé derrière lui une carrière scientifique et administrative très active sur la scène nationale française, il a maintenant l'occasion de mettre sur pied une nouvelle équipe et un laboratoire grâce à cette chaire. Et ce ne sont pas les projets qui manquent. "Je suis arrivé ici avec mon expérience et ma caisse de bouquins, dit-il. Je fais ce que j'aime faire: créer. J'ai rajeuni de 25 ans."

Même l'hiver ne fait pas peur à cet amateur des montagnes.

Mathieu-Robert Sauvé


Médicaments et grossesse: j'écoute

La chaire Famille Louis-Boivin en médicaments et grossesse a été créée à l'automne 1995 grâce à un don de 625,000$ de la famille qui porte son nom, de 500,000$ de l'hôpital Sainte-Justine et de la participation du Centre de recherches médicales. Elle a permis de créer, outre le poste de titulaire, deux emplois en milieu hospitalier.

Son volet le plus visible est son centre d'information Info-médicament en allaitement et grossesse ou IMAGE, sous la responsabilité de la pharmacienne Lise Gauthier. Situé à l'hôpital Sainte-Justine, ce centre répond aux questions des médecins de l'ensemble du Québec (514-345-2333).

D'ici quelque temps, ce centre sera accessible à l'ensemble du public. Professeure à la Faculté de pharmacie, Claude Mailhot signalait au lancement de la chaire qu'un "besoin criant" d'information se faisait sentir en la matière. Présent à la cérémonie, Pierre Boivin, représentant de la famille de pharmaciens à l'origine de cette initiative, faisait savoir que les femmes enceintes ont parfois une peur démesurée des médicaments. "On vit le syndrome de la thalidomide à l'envers, a-t-il dit. Un grand nombre de malades refusent de guérir par crainte des effets néfastes des médicaments."

Un centre d'information semblable à IMAGE existe depuis plusieurs années à Toronto et reçoit une centaine d'appels par jour.

M.-R.S.


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