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Nomination du prochain recteur

Contre une université à deux vitesses

Denise Couture

Au-delà des prestations et des positions des candidats et de la candidate au rectorat, la nomination du prochain recteur ou de la prochaine rectrice revêt une grande importance en raison de la conjoncture très difficile dans laquelle se retrouvent le système universitaire et l'éducation, en général, au Québec.

Une caractéristique de cette conjoncture à laquelle les candidats et la candidate ont parfois fait allusion: l'apport du secteur privé à la fois dans le financement de l'éducation et dans la production et la transmission des connaissances. Devant un financement public insuffisant se pose la question des sources alternatives de financement. Il s'agit là, à mon avis, d'une question d'opportunité qui n'est pas simple mais soluble à condition de poser les conditions nécessaires à la préservation de la liberté académique et de la liberté d'apprentissage (p. ex. obligation de financement par le secteur privé, de programmes dits "non utiles"). Bref, "sur notre terrain", comme disait un candidat.

Par ailleurs, que l'institution universitaire ne soit pas le seul lieu de production et de transmission du savoir dans nos sociétés est une évidence. Ce qui demeure cependant, c'est la reconnaissance de l'université comme seule institution capable d'attester l'acquisition des compétences au niveau des études postcollégiales.

Or, la présence du secteur privé en éducation risque fort de changer cette situation. Le pire serait qu'on constate un jour que l'université a été détruite de l'intérieur sans que cela ait été l'objet d'un débat public.

Ce "minage" par l'intérieur est commencé. J'en veux pour preuve la présentation d'un projet de centre de formation appelé Institut international de mathématique et d'ingénierie financières parrainé par le CIRANO (dont M. Lacroix, candidat au rectorat, est PDG), largement appuyé par le secteur privé et rassemblant des centres-groupes de recherche de l'Université de Montréal comme le CRT, le CRM, le GERAD. Cet institut serait logé dans les bureaux du CIRANO et rattaché au Réseau de calcul et de modélisation mathématique (RCM2), dont l'inauguration nous était annoncée en grande pompe dans le numéro de Forum où paraissaient justement les programmes des trois candidats qui avaient décidé, eux, de se prêter au jeu du débat public (24 novembre 1997).

Dans une de ses versions, ce projet prévoyait que M. Girard, autre candidat absent du débat, serait partie prenante de la création de cet institut en tant que président de Montréal international.

Qu'une partie du financement public déficient des universités soit détournée au profit du secteur privé, voilà qui mérite débat, non?

On le sait, l'entreprise privée réussit d'autant mieux à montrer son efficacité prétendument supérieure que son fonctionnement repose sur un système public d'éducation pour lequel elle n'a pas à assumer la totalité des coûts. L'implication du secteur privé telle qu'illustrée par ce projet d'institut mène à terme à une université à deux vitesses: des étudiants placés dans des conditions d'apprentissage aliénantes mais dont le nombre permet de financer des projets de formation pour les branchés sur l'industrie et la finance, dont les conditions d'apprentissage sont luxueuses et les chances d'emploi, fort bonnes puisque directement moulés selon les besoins de ces "agents socioéconomiques".

Il y a là des choix sociaux qui auront des conséquences à long terme et qui doivent être l'objet de l'attention de toute l'Université, et en particulier du Comité de consultation et du Conseil. À mon avis, ces tentatives de détournement de fonds publics constituent une trahison scandaleuse de la part de nos élites sociales, qui ont largement bénéficié d'un système public d'éducation et qui semblent incapables de trouver les énergies nécessaires à son changement et développement. Dans le projet de création de cet institut (daté du 19 juin 1997), on peut ainsi lire: "La création d'un programme conjoint [les auteurs renvoient ici à un programme de formation hybride en mathématiques et en finance] entre institutions pourrait conduire à des lourdeurs administratives. Nous proposons donc la création d'une structure souple sous la forme de profils de formation types que devraient suivre les étudiants qui désireraient obtenir l'assermentation de l'institut."

Allons-nous nommer comme recteur une personne qui a déjà baissé les bras devant la nécessaire refonte de notre système universitaire? Je dis non. Je dois aux générations futures de défendre cette institution sociale qui a permis aux gens de ma génération de se réaliser et de contribuer au développement du Québec.

Denise Couture,
"simple" professeure
Département de sociologie


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