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La Constitution protégerait la liberté académique

Si la liberté d'expression inclut l'affichage commercial, il serait difficile de ne pas l'étendre à la liberté académique.

Elvio Buono

Un professeur d'université qui verrait sa liberté académique contestée devant les tribunaux aurait toutes les chances de remporter sa cause en se fondant sur le droit à la liberté d'expression contenu dans les chartes canadienne et québécoise des droits de la personne.

"La liberté académique n'est inscrite dans aucun texte législatif, mais l'analyse de la jurisprudence nous permet de la rattacher à la liberté d'expression spécifiquement mentionnée dans la Charte canadienne", soutient Elvio Buono, étudiant au doctorat au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit.

Me Buono, qui est également coordonnateur en relations de travail à la CREPUQ, a consacré son mémoire de maîtrise à cette analyse des jurisprudences canadienne et américaine portant sur la liberté d'expression.

Même si elle est à n'en pas douter une manifestation de la liberté d'expression, la liberté académique possède toutefois des caractéristiques qui pourraient rendre sa protection aléatoire. "La liberté académique est à la fois la liberté d'enseigner, de faire de la recherche, d'en publier les résultats et de contribuer à la vie sociale en critiquant librement les institutions publiques, dont l'université, explique Elvio Buono. Le professeur d'université a ainsi plus de liberté à l'égard de son employeur que vous n'en avez comme journaliste à Forum."

 

Une liberté subordonnée

Cette liberté héritée de la tradition entre par ailleurs en contradiction avec certaines dispositions formellement inscrites dans des lois. Le Code civil, par exemple, précise qu'un employé est une personne "sous la direction ou le contrôle de son employeur" et qu'il doit "agir avec loyauté" à son égard.

Même la convention de travail régissant les professeurs de l'Université de Montréal ne mentionne pas explicitement la liberté académique; on y reconnaît la liberté de conscience et la liberté politique, deux libertés subordonnées aux obligations du professeur vis-à-vis de l'Université (voir l'encadré).

"Comment la liberté académique doit-elle être interprétée dans le cadre de ces notions de subordination et de loyauté?" s'est demandé l'étudiant. Aucune cause de ce type ne s'est encore rendue devant la Cour suprême au Canada, si bien qu'il a d'abord dû examiner la situation du côté des États-Unis.

La comparaison avec nos voisins du Sud est justifiée puisqu'à son avis l'introduction de la Charte des droits dans la constitution de 1982 a amené une rupture avec la tradition britannique pour nous rapprocher du modèle américain, où existe déjà une abondante doctrine juridique sur la question.

"La tradition britannique est fondée sur la souveraineté du parlement et les juges ne se voient pas comme les chiens de garde des valeurs sociales. Aux États-Unis par contre, la Cour suprême se prononce sur toutes sortes de choses comme l'avortement et même l'enseignement du darwinisme."

Dès 1915, l'Association américaine des professeurs d'université, qui voulait se protéger contre des décisions arbitraires des conseils d'administration d'établissements privés, a adopté une déclaration sur la liberté académique qui s'inspirait du modèle allemand.

"Dans les années 1950, reprend l'étudiant, la Cour suprême américaine a reconnu que la liberté académique faisait partie de la liberté d'expression et qu'elle était en cela protégée par le Bill of Rights. Le litige mettait en cause un professeur du secondaire et la jurisprudence étend donc cette liberté à tous les ordres d'enseignement."

Elvio Buono croit qu'il en serait de même au Canada si une cause semblable était portée devant les tribunaux, même si les fondements théoriques élaborés par la Cour suprême sur la liberté d'expression lui paraissent "fragiles, ambigus et contradictoires".

"Dans les causes qui lui ont été soumises, comme celle sur la loi 101, la Cour suprême n'a pas cherché à définir le contenu de cette liberté, mais à déterminer si les contraintes imposées étaient acceptables 'dans le cadre d'une société libre et démocratique'. Étant donné qu'elle a reconnu que l'expression commerciale était incluse dans la liberté d'expression, il lui serait difficile de dire que la liberté académique n'en fait pas partie."

À son avis, la liberté d'expression inscrite dans la Charte québécoise recevrait également la même interprétation.

 

Recherche commanditée

Pour l'étudiant, les principales menaces à la liberté académique ne devraient pas provenir des administrations universitaires mais des nouvelles règles du jeu qui sont en train de se mettre en place.

"Contrairement au temps où Duplessis intervenait directement dans les nominations de professeurs, la pression vient maintenant de milieux extérieurs aux universités, notamment des commanditaires. Un commanditaire peut-il, par exemple, empêcher la publication des résultats d'une recherche qu'il a commandée? Dans le contexte où la recherche commanditée risque de devenir de plus en plus fréquente, qui fixera les normes? Jusqu'où peut-on aller tout en faisant en sorte qu'une université demeure une université?"

"Les universités sont au carrefour du développement technologique et scientifique, et, dans le contexte actuel, les possibilités de conflit existent bel et bien", affirme-t-il.

C'est autour de ces questions très d'actualité qu'Elvio Buono poursuit ses travaux de doctorat sous la direction du professeur Pierre Trudel.

Daniel Baril

 

 Libertés universitaires à l'UdeM

"Tout professeur bénéficie des libertés de conscience, d'enseignement et de recherche inhérentes à une institution universitaire de caractère public telle l'Université; ses droits ne peuvent être affectés par l'Université en autant que ces libertés sont exercées dans le respect de ses obligations vis-à-vis celle-ci.

"Le droit d'exercer ses libertés politiques dans le respect de ses obligations vis-à-vis l'Université est reconnu à tout professeur.

"Les parties n'exercent ni directement ni indirectement de pression, contrainte, discrimination ou distinction injuste contre un professeur à cause de [...] ses opinions politiques [...] ou de tout autre droit que lui reconnaît la présente convention ou loi."

Source: Convention collective entre l'Université de Montréal et le Syndicat général des professeurs de l'Université de Montréal, 1997-2000, article RC 6.


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