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Christiane Mascrès, dentiste et poète

La somatisation fait aussi des ravages sur la dentition, explique la professeure à la veille de la retraite.


Bord de vie

Nous voilà au bord de la mer
où toutes les choses belles à voir
se retrouvent cachées sous le sable.

Dans cette profondeur sucrée
les poissons se saluent
comme des professeurs titulaires
se prenant au chignon.

[...]


Revivre

L'aube s'étire
en bleu-marine.

Un oiseau se profile
fait un moment le muezzin.

La nuit s'écarquille
en silence.

D'un doigt rose,
un petit vent

tourne la page
du matin.

 

 

 

 

 

 

Tiré de Christiane Mascrès,
Tant d'étoiles à compter
(édition à compte d'auteur),
1998, 136 pages
.


La dernière personne qu'on imagine tremper une plume dans un encrier, le revers de la main sur le front, est notre dentiste. Nul doute que, dans l'imaginaire collectif, l'homme ou la femme gantés de latex manoeuvre mieux la fraise et le foret que la rime et le sonnet.

Pourtant, Christiane Mascrès, professeure à la Faculté de médecine dentaire, publie des recueils de poèmes entre deux articles savants. C'est une authentique poète, un titre qu'elle porte avec fierté parallèlement à sa brillante carrière universitaire. Son tout dernier recueil s'intitule Tant d'étoiles à compter et est illustré des dessins de sa fille Catherine et de ses deux petits-fils, Sébastien et Jonathan. "L'écriture a toujours fait partie de ma vie, dit-elle. Ce qui me fascine, c'est de pouvoir arriver à faire chanter les phrases."

Lorsque Forum l'a rencontrée, sa contribution pédagogique venait d'être couronnée par les Palmes académiques du gouvernement français. "J'adore enseigner, dit-elle. C'est un métier extrêmement riche quand on donne le meilleur de soi-même. Donner un cours, c'est l'art de faire toujours la même chose jamais de la même manière..."

Spécialiste des pathologies dentaires, la Dre Mascrès enseigne aux hygiénistes dentaires et aux futurs dentistes depuis 1973. À son avis, l'exercice consistant à donner un cours devant une classe exige une préparation particulière. "Je crois que tout jeune professeur devrait prendre des cours de diction et de maintien. Moi, je me suis rapidement rendu compte que les cours de théâtre que j'ai suivis, jeune, avaient été utiles pour mon enseignement."

 

Recherche et créativité

Française d'origine, immigrée au Québec en 1969, la Dre Mascrès s'apprête à repartir à zéro près de 30 ans plus tard. Au moment où elle range les rayons de son bureau à la Faculté de médecine dentaire en vue de sa retraite prochaine, elle est en mesure de commencer une nouvelle carrière. À 64 ans, elle vient de terminer un doctorat en psychologie.

Cela est à l'image de sa vie entière, jalonnée de nouveaux départs. Alors qu'elle vivait à Paris, journaliste tout comme son mari - "nous crevions de faim", se souvient-elle -, elle décide de suivre un cours de médecine dentaire. Sa fille est alors en bas âge. Après ses études, elle ouvre un bureau et travaille comme dentiste généraliste pendant cinq ans. Puis, elle décide de suivre son second mari au Québec, où elle rencontre la première neige. Choc culturel.

Nouveau pays, nouveau départ: elle s'inscrit à l'Université de Montréal, où elle termine une maîtrise en biologie dentaire puis un doctorat en pathologie, en plus d'obtenir une licence en pratique dentaire. "Je travaillais tout le temps, se rappelle-t-elle. Samedis et dimanches compris. Je n'avais pas de vacances ni de soirées libres."

Cette énergie est remarquée par la direction de la Faculté, ce qui lui vaut de remplacer son propre directeur de maîtrise, parti à la retraite. Aussitôt, elle s'engage à fond dans la recherche. Ses contributions à l'Encyclopédie médico-chirurgicale figurent parmi ses publications les plus prestigieuses. Mais elle signe aussi plusieurs dizaines d'articles dans des revues savantes en plus d'une quinzaine d'analyses de volumes et autant de bibliographies commentées.

L'écriture scientifique ne consiste certes pas à "faire chanter les phrases", reconnaît-elle, mais la créativité est probablement aussi importante en recherche qu'en création littéraire...

 

Des recherches sur la somatisation

Faisant en quelque sorte le pont entre la psychologie et la pathologie, ses plus récents travaux ont porté sur la somatisation.

Quoi? Les maux de dents seraient psychosomatiques? "Bien sûr, répond la spécialiste. De nombreux problèmes dentaires ont une origine psychologique. Par exemple, le stress provoque l'asalie [perte de salive], ce qui favorise la carie. Je vous jure que si je n'avais pas 64 ans et demi, c'est dans ce domaine que je me dirigerais. Tout est à faire."

Dans un texte synthèse sur cette question, paru dans l'Encyclopédie médico-chirurgicale (23-449-A10, 1995), la Dre Mascrès donne plusieurs exemples, non sans avoir rappelé que "la médecine psychoso-matique est considérée par les médecins organistiques comme une hérésie".

Les tics et habitudes de la langue peuvent dénuder les collets des dents et être de véritables agressions à l'intérieur du palais. "Le syndrome du cure-dent manié avec trop d'énergie produit des effets comparables", écrit-elle.

Autre exemple: près de 5% des gens se grignotent l'intérieur des lèvres et des joues, et se rongent les ongles par nervosité, ce qui peut altérer sérieusement le bord des dents.

L'anorexie, une maladie indiscutablement psychosomatique, pose aussi des problèmes dentaires, car, au moment des crises de boulimie, les régurgitations acides peuvent abîmer l'émail des dents.

Par ailleurs, les médicaments provoquent fréquemment des effets secondaires ayant des conséquences sur la dentition. L'un des plus fréquents est la perte de salive, qui permet la multiplication des bactéries responsables des caries.

Ces quelques exemples ne sont encore que des atteintes somatiques directes, n'incluant pas l'effet du stress directement sur l'asalie ou sur le pH ou la composition de la salive. Cet effet aurait déjà été démontré sur des modèles animaux.

Les maladies dentaires d'origine psychologique sont donc loin d'être marginales. Au cours d'une étude portant sur 197 patients, un chercheur a déjà observé 232 manifestations somatiques de conflits psychologiques dans la sphère buccale.

"Depuis environ 20 ans, conclut Christiane Mascrès dans son article, on assiste à une explosion des maladies psychosomatiques en médecine dentaire. Le dentiste est cependant peu ou pas formé pour faire une évaluation psychologique. Il devient donc très ardu pour lui de conclure à un diagnostic de maladie psychosomatique; sans méfiance, il prescrira des examens, des médicaments, des opérations inutiles."

La dentiste poète laisse derrière elle un bon sujet de réflexion...

Mathieu-Robert Sauvé


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