Mangeuse d'étoiles |
Claude Carignan a mesuré le volume de la galaxie spirale la plus massive connue. |
Claude Carignan |
Les galaxies spirales comme la nôtre pourraient bien avoir une masse 10 fois supérieure à celle estimée jusqu'ici. L'astrophysicien Claude Carignan, professeur au Département de physique, qui tente depuis plusieurs années de débusquer la "masse manquante" de l'univers, vient en effet de démontrer qu'une galaxie de dimension comparable à notre voie lactée était de fait 12 fois plus massive qu'on ne le croyait.
La masse manquante est cette matière sombre, qui n'émet aucune forme de rayonnement détectable, dont l'existence est déduite à partir du calcul de la vitesse de déplacement des étoiles situées sur la tranche extérieure des galaxies. Cette vitesse ne correspond pas à ce qu'elle devrait être en fonction de la quantité de matière qu'on y observe.
Pour expliquer le phénomène, les astrophysiciens doivent supposer que les galaxies sont composées de 95% de matière sombre. Autrement dit, la matière observable par les télescopes et radiotélescopes ne constitue que 5% de la matière présente dans l'univers.
L'hypothèse de la masse manquante a été formulée à partir de travaux effectués sur la rotation des galaxies naines. Pour la première fois, une équipe de chercheurs a fait porter ces travaux sur une galaxie spirale géante; connue sous le nom poétique de NGC 5084, la cible est visible seulement de l'hémisphère sud et est distante de quelque 50 millions d'années-lumière de nous.
"Nous avons cherché à déterminer sa masse à partir de la vitesse des petites galaxies satellites qui gravitent autour d'elle, explique Claude Carignan. Cette galaxie était une bonne candidate puisqu'une quarantaine d'objets présents dans son voisinage pouvaient possiblement être des galaxies satellites."
L'étude de 34 de ces objets a montré que 9 d'entre eux étaient effectivement des galaxies satellites. La masse totale de NGC 5084 a ainsi été évaluée à 10 000 milliards de fois la masse du Soleil, ce qui en fait la plus grosse galaxie spirale connue. Elle serait 20 fois plus massive que notre galaxie et son nuage de matière s'étend sur un diamètre de 250 000 années-lumière, comparativement à 100 000 pour la Voie lactée. (D'autres types de galaxies, les galaxies elliptiques, peuvent être encore 10 fois plus massives.)
Ce résultat consolide l'hypothèse de la masse manquante puisqu'il indique que la masse totale de NGC 5084 est constituée de 95% de matière sombre. Jusqu'ici, on évaluait la matière sombre des galaxies spirales à 50% de leur masse totale.
Si les résultats de l'équipe de Claude Carignan étaient observés pour d'autres galaxies semblables, cela permettrait de confirmer l'hypothèse d'un "univers fermé", c'est-à-dire d'un univers renfermant assez de matière pour freiner son expansion amorcée avec le Big Bang; il en résulterait alors un mouvement inverse amenant l'univers à s'écraser sur lui-même dans un Big Crunch.
L'étude de Claude Carignan a en outre montré que NGC 5084 absorbait une à une ses galaxies satellites, un phénomène que les astrophysiciens désigne par l'expression "galaxie cannibale".
Les chercheurs ont en effet observé que huit des neuf satellites tournaient sur des orbites rétrogrades, c'est-à-dire dans le sens opposé à celui de la rotation de la galaxie mère. "Comme le montrent les simulations numériques, la galaxie centrale absorbe en premier lieu les satellites tournant dans le même sens qu'elle, sur des orbites directes. C'est pourquoi il ne reste maintenant qu'une seule galaxie gravitant sur une telle orbite."
Les simulations numériques prévoient également que, lorsqu'une galaxie en absorbe une autre, il se produit une oscillation dans le disque extérieur de la galaxie cannibale. "C'est comme lorsqu'on lance un caillou dans l'eau, donne comme exemple Claude Carignan, et que le choc provoque une onde."
Cette oscillation est facilement observable sur les photos de la galaxie, où l'on peut voir que le disque ténu aux confins de la galaxie n'est pas dans le même plan que le noyau central. "Ce débalancement montre qu'il y a eu une collision récente entre une galaxie satellite et NGC 5084." Récent veut dire ici quelques centaines de millions d'années!
Le cannibalisme chez les galaxies constitue un phénomène normal de leur évolution. "Les galaxies naissent à partir d'un nuage d'étoiles formant un disque plat plus ou moins régulier et sans bulbe central. Ces galaxies naines deviennent des spirales en absorbant les autres galaxies autour d'elles. Lorsque deux spirales fusionnent, il se crée une galaxie elliptique géante en forme de sphère."
C'est d'ailleurs ce qui arrivera à notre galaxie lorsqu'elle entrera en collision avec la galaxie d'Andromède, située à seulement deux millions d'années-lumière de nous. Et c'est plutôt elle qui nous absorbera puisqu'elle a deux fois plus d'étoiles. Mais ça, c'est dans plusieurs lunes d'ici.
Daniel Baril