La grande peur de l'an 2000 |
Les ordinateurs de l'Université de Montréal pourront franchir la date fatidique, mais chacun doit voir à ses affaires. |
Michel Vanier dans la salle des ordinateurs. |
Les millénaristes ont une nouvelle raison de craindre la fin du monde pour l'an 2000: il ne s'agit pas du verglas mais des horloges des systèmes informatiques. Alors que le développement technologique devait nous assurer un meilleur contrôle sur notre environnement, le summum de la technologie, soit l'informatique, est paradoxalement devenu la cause d'un souci collectif majeur à l'approche du troisième millénaire.
Le problème des ordinateurs dont l'horloge n'a pas été conçue pour franchir le cap du millésime 99 n'est pas une peur de sorcière; chaque système électronique recourant à une horloge pour son fonctionnement - que ce soit votre boîte vocale, votre micro-ordinateur, votre magnétoscope ou l'ordinateur qui calcule votre paye - est concerné par le problème.
Le gouvernement du Québec a investi quelque 50 millions de dollars pour faire face à la situation - et le gouvernement américain pas moins de 3,9 milliards -, ce qui donne une idée de l'ampleur du problème. À la Direction des infrastructures technologiques d'enseignement et de recherche (DITER), on a aussi prévu le coup et un plan d'action a été mis en place dès 1996.
"Autour de 30% des opérations effectuées par les systèmes informatiques de l'Université comportent un calcul de date, souligne Michel Vanier, directeur de la division développement à la DITER. Pensons à la gestion des dossiers étudiants, au paiement des droits de scolarité, à l'émission des chèques de paye, aux états financiers, au tri de documents par date, aux systèmes de contrôle en temps réel, tout cela est dépendant d'une date, donc de l'horloge de l'ordinateur."
La DITER a d'abord évalué à 2920 jours de travail, soit l'équivalent de 15 personnes à temps plein pendant un an, le temps nécessaire pour adapter les systèmes informatiques au changement de millénaire. Et cela ne concerne que les systèmes conçus par la DITER. Quant aux progiciels acquis sur le marché - comme Prophecy pour la gestion financière, Purchase Master pour les approvisionnements ou Ariel pour les avantages sociaux et le Régime de retraite -, la DITER s'en remet aux fournisseurs pour mettre ces systèmes à jour.
La bonne nouvelle, c'est que déjà les deux tiers des opérations d'adaptation sont réalisées. À la Direction des ressources humaines, le travail est même terminé depuis février 1996 pour ce qui est des dossiers du personnel enseignant et il le sera ce mois-ci au Fonds de développement. L'ensemble des opérations devrait être terminé d'ici août 1998 pour les systèmes gérant les dossiers scolaires, les droits de scolarité, les ressources matérielles et les dossiers du personnel non enseignant.
En cours de route, l'évaluation a même été révisée à la baisse, si bien qu'on parle maintenant d'un total de 2547 jours de travail à accomplir. "Tous les experts vous diront que les évaluations de temps en informatique sont toujours sous-estimées, souligne Michel Vanier. Que nous en soyons maintenant à 373 jours de moins est une excellente nouvelle, même s'il peut se cacher de mauvaises surprises."
Dans la grande majorité des cas, l'opération ne nécessite pas de remplacement d'équipement; un changement ou une adaptation du système d'exploitation permet de résoudre le problème. Dans trois unités, il est par ailleurs envisagé de remplacer au complet l'équipement jugé vétuste; il s'agit de l'hôpital de la Faculté de médecine vétérinaire, du système de réservation de plateaux du CEPSUM et de la clinique dentaire de la Faculté de médecine dentaire.
Il faut par ailleurs ajouter à l'évaluation fournie par Michel Vanier le travail à faire du côté de la téléphonie, qui relève de la division exploitation de la DITER. La mise à jour du logiciel de traitement devrait entraîner des dépenses "de quelques dizaines de milliers de dollars", avance-t-il, ce qui est relativement peu puisque la DITER investit déjà chaque année autour de 100,000$ dans ce service.
De plus, certaines pièces d'équipement de la téléphonie (les routeurs et les concentrateurs) servant au transfert de données par courrier électronique ou par Internet devront être remplacées. "Ces pièces devaient de toute façon être modernisées puisque les besoins en capacité de transfert de données ont été multipliés par 100 au cours des dernières années." Coup de l'opération: autour du demi-million.
"La situation est donc sous contrôle et les grands systèmes vont passer le cap, assure le directeur, même s'il faut s'attendre à de légères perturbations comme il en survient avec le rodage de tout nouveau système. Cela n'aurait pas été possible sans l'excellente collaboration des responsables de services, qui ont accepté de retarder le développement de leurs services informatisés afin de permettre l'adaptation nécessaire."
Voilà pour les systèmes relevant de la DITER. Certains autres programmes ont été élaborés de façon autonome par des facultés, départements ou centres de recherche. Dans ces cas, il revient aux responsables de ces unités d'assurer la mise à jour de leur système, avise M. Vanier.
Et qu'en est-il de votre ordinateur de bureau? "La plupart ne pourront pas traiter correctement la date de l'an 2000, estime Michel Vanier. Le type de logarithme utilisé ramènera les logiciels à 1980 ou à 1900. Quant à l'impact de ce problème, tout dépend de l'usage qu'on fait de son ordinateur."
Cet impact peut être à peu près nul si l'on ne fait que du traitement de texte, le seul ennui étant le classement des documents si l'on recourt au classement par date. Mais le problème peut être important si l'on fait de la gestion comptable ou de banques de données recourant à une date.
Différentes solutions sont possibles pour régler le problème, à condition que votre appareil date d'après 1990; sinon, il ne pourra être modifié et vous devrez le considérer comme périmé. Les appareils conçus après 1996 devraient quant à eux normalement passer le cap de l'an 2000.
Pour ceux conçus entre 1990 et 1996, ils peuvent être adaptés, mais le procédé dépend du modèle. Il faut consulter le site Internet du fabricant pour connaître la solution recommandée. Ne le dites pas, mais l'Université Laval a répertorié les sites des principaux fabricants qui offrent des solutions, parfois avec des logiciels à télécharger.
Le bruit court que les appareils Macintosh ne seraient pas touchés par le mal de l'an 2000, mais ne tenez rien pour acquis; à cause des multiples modèles, mieux vaut consulter le fabricant.
La mise à jour des micro-ordinateurs ne relève évidemment pas de la responsabilité de la DITER et chacun doit y voir.
Daniel Baril
Vision courte? Tout ce micmac informatique apocalyptique aurait-il pu être évité si les concepteurs d'appareils et de logiciels avaient tout simplement prévu des systèmes avec une année à quatre chiffres? "La décision de concevoir des systèmes de date à six chiffres plutôt qu'à huit était une bonne idée parce qu'il fallait gagner de l'espace, répond Michel Vanier. Chaque chiffre a un effet multiplicateur et l'espace nécessaire aurait fait passer le prix d'un ordinateur de quatre millions à cinq millions de dollars si les horloges avaient eu des systèmes à huit chiffres." En 1970, une mémoire dure de 100 Mo (méga-octets) occupait un espace gros comme une laveuse; les disques durs de nos micro-ordinateurs ont aujourd'hui 10 cm de diamètre pour une capacité 10 fois plus grande. "De plus, ajoute M. Vanier, les appareils de cette époque étaient conçus pour une vingtaine d'années et l'on ne s'attendait pas à ce qu'ils soient encore en fonction en l'an 2000. Mais au fil des années, ils ont été modifiés et adaptés." Selon Michel Vanier, le problème actuel ne résulte donc pas d'une vision à court terme et les millions que coûte aujourd'hui la mise à jour des systèmes sont un moindre mal devant les économies réalisées. Par contre, il reconnaît que le risque économique peut être très grand pour les entreprises qui sont en mauvaise posture et qui ne réussiraient pas à s'adapter à temps. Passé décembre 1998, il sera trop tard pour elles. "Ce sera comme avec le verglas, affirme-t-il. Ce sont les arbres les plus faibles qui sont les plus touchés." D.B. |