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Pour mieux gérer les crises

Le CIRANO lance un vaste projet de recherche et de transfert de connaissances sur les risques technologiques.

   Bernard Sinclair-Desgagné

L'importance des précipitations verglaçantes reçues au début du mois étant tout à fait inhabituelle, l'ampleur du désastre était donc imprévisible. C'est du moins le discours que nous a livré Hydro-Québec en s'appuyant sur les données des météorologues.

Mais Bernard Sinclair-Desgagné, professeur à l'École Polytechnique et chercheur au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), n'est pas du même avis. Il dirige, avec Carel Vachon, un vaste projet de recherche lancé par le CIRANO l'automne dernier et portant sur la gestion des risques technologiques majeurs. Le professeur croit qu'il est possible de limiter les risques des catastrophes naturelles ou industrielles grâce à une gestion appropriée.

"Je suis surpris du manque de préparation pour faire face à la crise actuelle", déclarait-il une semaine après la catastrophe du verglas. "Sous notre climat, on aurait dû être prêt à faire face à un tel événement. Si la crise a été gérée au plus haut niveau et on ne peut mieux, il n'en va pas de même pour la prévention, qui n'a pas été gérée de façon intégrée."

Les risques technologiques pouvant entraîner des dommages catastrophiques sont très complexes à analyser et c'est là l'une des raisons d'être du projet du CIRANO. Ces risques ont la particularité d'être difficilement mesurables, difficilement réparables et d'une portée qui dépasse celle de l'entreprise. Ils posent également des problèmes jamais rencontrés auparavant: comment, par exemple, évaluer les pertes de production lors d'une panne généralisée, le coût de la disparition d'une espèce animale, celui de la perte d'un site naturel, ou encore la part de responsabilité de chacun dans des problèmes de santé publique?

 

Gestion intégrée

Bernard Sinclair-Desgagné croit qu'il serait illusoire de penser en arriver à éliminer complètement ces risques. Le développement technologique et les cures d'amaigrissement des organisations sont même de nature à augmenter de tels dangers. Tous se souviennent de Bhopal, de Tchernobyl ou des BPC de Saint-Basile-le-Grand. À l'échelle mondiale, le nombre d'accidents se rapportant à des substances dangereuses et ayant causé la mort d'au moins cinq personnes était huit fois plus élevé en 1990 qu'en 1945.

L'approche du projet du CIRANO est plutôt fondée sur le préalable, qui reste à établir pour chaque cas, d'un niveau de risque "acceptable" et mise sur la gestion intégrée des risques.

"Traditionnellement, explique le chercheur, l'entreprise confie la responsabilité de la gestion des risques à une personne en particulier et son intervention se limite souvent à une liste de choses à vérifier. Cette responsabilité doit être intégrée à l'ensemble des fonctions, devenir une préoccupation pour tous et s'appliquer à toutes les décisions de l'entreprise. Elle doit tenir compte non seulement de l'aspect technologique du risque, mais aussi des dimensions psychologique, sociologique, économique et organisationnelle."

C'est précisément cet ensemble intégré de données qui aurait fait défaut dans les prévisions ou les plans de prévention d'Hydro-Québec. "À Hydro-Québec, l'évaluation des risques est trop limitée aux problèmes d'ingénierie. Les gestionnaires doivent y inclure les données sociologiques, les comportements de la population, l'insécurité, la préparation des gens ainsi que les pertes économiques des particuliers."

Si la gestion intégrée des risques technologiques n'est pas nouvelle en soi, reconnaît Bernard Sinclair-Desgagné, peu de recherches ont été effectuées sur cette approche alors que les besoins se font de plus en plus pressants et nombreux. C'est ce manque que veut combler le projet qu'il dirige. Au cours des trois prochaines semaines, son équipe, composée de six chercheurs, s'appliquera d'ailleurs à mener une étude de cas à partir de la gestion de la catastrophe du verglas.

 

Risques et performance

À une échelle plus réduite que celle de la crise qu'on vient de traverser, le mode de rémunération des employés des grandes entreprises peut aussi servir d'exemple dans une gestion intégrée tenant compte des intérêts globaux, soit ceux des employés, de l'entreprise et de l'environnement. Bernard Sinclair-Desgagné illustre l'exemple à partir du Germinal, uvre de Zola tristement réactualisée il y a deux ans à la mine West Ray, en Nouvelle-Écosse.

"Dans Germinal, les mineurs devaient à la fois extraire le charbon et entretenir les galeries. Comme ils n'étaient payés que pour le minerai extrait, ils n'avaient aucun avantage à investir du temps dans l'entretien, ce qui conduisit au désastre. La mine a alors diminué les salaires à la pièce pour payer l'entretien, ce qui entraîna la grève des mineurs."

Une gestion intégrée des risques proposerait plutôt de maintenir le salaire et les responsabilités de base et de vérifier, lorsqu'il y a une hausse de la production, si l'entretien est bien fait; si oui, l'employé reçoit une prime, sinon, il y a pénalité. "De cette façon, il n'y a plus de contradiction entre ces deux fonctions", estime le professeur.

Des analyses semblables peuvent être faites à propos des systèmes de prix, de la supervision du travail, des changements de tâches, des promotions ou encore de la décentralisation des décisions ou des opérations.

Pendant trois ans, l'équipe de Bernard Sinclair-Desgagné étudiera les composantes et les impacts des divers systèmes de gestion intégrée afin de développer l'expertise sur la gestion des risques et de constituer une banque de ressources à l'usage des entreprises.

Outre le cas d'Hydro-Québec, la première phase déjà en cours porte notamment sur l'évaluation des risques technologiques (les sources d'accidents, les conséquences, le niveau de risque acceptable, la superposition des risques, la crédibilité de la science), sur le partage des responsabilités (assurabilité, responsabilité juridique, compensations) et sur les outils de contrôle (prévention et limitation des dommages).

Le volet du transfert des connaissances prévoit par ailleurs une série de séminaires et de conférences destinés aux gestionnaires et cadres d'entreprises.

Ce projet est mené en collaboration avec la chaire Jarislowsky de l'École Polytechnique, le réseau RCM2, le groupe Cartier et le Centre de sécurité civile de la CUM.

Daniel Baril


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