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«Ne touchez pas à mon texte!»

Marie Laberge parle de droits d'auteur à des futurs avocats.

Marie Laberge

Les metteurs en scène, réalisateurs et traducteurs peuvent modifier les textes de Molière, Shakespeare et Bertold Brecht même si ces derniers se retourneront dans leur tombe. Mais qu'ils ne touchent pas à l'oeuvre de Marie Laberge, car elle est bien vivante. "Je ne suis pas exigeante. Je suis intransigeante", dit l'écrivaine à propos de l'inviolabilité d'un texte.

Invitée par l'Association des étudiants en droit le 20 novembre dernier, Mme Laberge a parlé pendant une heure et demie de son métier passionnant mais parfois ingrat. En 25 ans de carrière, elle a toujours été intraitable avec ses partenaires, ce qui lui a valu des remarques désobligeantes. "Au cours de négociations autour d'un texte, raconte-t-elle, je me suis fait dire: 'Pour qui tu te prends?' Eh bien pour la personne qui l'a écrit!"

Selon elle, même si la loi est théoriquement souvent du côté des auteurs, la vraie vie ne leur donne pas souvent raison. Résultat: on traficote sans vergogne le roman ou la pièce d'un auteur afin de "l'améliorer". L'un de ces traficoteurs a carrément changé la fin d'une pièce de Mme Laberge en lui disant qu'elle s'était trompée. "J'étais furieuse, relate-t-elle. Je lui ai dit qu'il n'était pas question qu'il change quoi que ce soit. Je suis prête à signer mes erreurs, mais pas celles des autres. Qu'il l'écrive, sa pièce!"

Comédienne à ses heures, il lui est arrivé un jour de pester contre l'auteur d'une pièce. Alors qu'elle répétait un long monologue sans virgule, où l'actrice n'arrivait pas à reprendre son souffle, elle aurait bien voulu changer la ponctuation, rajouter quelques virgules. Elle s'est retenue. C'eût été violer le caractère sacré de ce texte.

Or, l'auteure de ce texte, c'était Marie Laberge elle-même.

 

Les auteurs: prolétaires de l'édition

En ces temps de vaches maigres, les écrivains croient souvent qu'on publie leurs oeuvres par charité. Selon l'auteure de Anabelle, rien n'est plus faux. Les éditeurs font d'excellentes affaires avec les bons livres, et il ne faut pas trop se sous-estimer devant leurs exigences. "Un roman, c'est votre chair, dit Marie Laberge. Une artiste qui se ferait dire d'enlever une ligne rouge au milieu de son tableau refuserait sûrement de le faire. Pourquoi est-ce différent pour les auteurs?"

À sa décharge, Mme Laberge présente à son éditeur (Boréal) des livres qui peuvent être mis sous presse sans modifications majeures. Elle apporte un soin extrême à ses textes, qu'elle rédige d'abord à la plume sur du papier ("Je suis une dinosaure, je le sais") qu'elle laisse reposer dans un coffret de sûreté, à la banque, pour une période indéterminée. Ensuite, une deuxième version prend forme quand elle transcrit le tout dans son ordinateur. L'éditeur ne verra que la quatrième version.

"J'ai rencontré plusieurs auteurs dans ma vie, reprend-elle. Beaucoup sont prêts à payer pour être joués ou publiés. Un éditeur m'a déjà offert 10 exemplaires de mon livre comme droits d'auteur. C'est affolant. À la faillite de Leméac, même Michel Tremblay et Marcel Dubé n'avaient pas été payés."

Les droits d'auteur de 10% ne sont pourtant pas excessifs comparativement aux 40% de l'éditeur, estime Mme Laberge. Pour un livre qui se vend 25$ en librairie, cela ne représente que 2,50$. Payés, de surcroît, jusqu'à huit mois plus tard. "Combien faut-il en vendre pour gagner 25 000$ par année? N'oubliez pas qu'au Québec un best-seller, c'est 5000 exemplaires..."

Mince consolation, la situation n'est pas plus reluisante ailleurs. Depuis que ses pièces sont jouées en France, Marie Laberge est membre de la Société des auteurs dramatiques, un organisme fondé par Beaumarchais au 18e siècle pour défendre les droits des écrivains. Lorsqu'elle a fait rajouter dans un contrat une clause défendant l'intégralité du texte, on s'est un peu moqué d'elle. Quelques années plus tard, une clause semblable figurait dans les contrats types de la Société. Entre-temps, un auteur français avait perdu une cause importante contre un éditeur étranger.

 

Enfin un bon avocat

Consciente d'être parfois perçue comme une empêcheuse de danser en rond, Marie Laberge estime avoir une certaine responsabilité à titre d'auteure renommée. "Si je ne le faisais pas, comment voulez-vous qu'un jeune auteur fasse respecter l'intégralité de son texte? On n'en fait pas assez pour la relève. L'écrivain est si seul."

Pour les futurs avocats qui s'étaient déplacés pour l'entendre, quelques conseils et commentaires pouvaient s'avérer utiles. "J'ai engagé trois avocats jusqu'à maintenant pour défendre mes droits. Celui que j'ai présentement fait bien son travail. Il respecte énormément ce que je suis. Pour tout dire, j'ignore s'il me trouve 'capotée' ou raisonnable. C'est bon signe."

Des applaudissements nourris ont été servis à l'invitée en guise d'appréciation.

La présentation de Marie Laberge s'inscrivait dans le cadre d'une série de conférences sur la place du droit dans la société. Le mois précédent, on avait pu y entendre Jacques Parizeau, qui s'exprimait sur la fiscalité québécoise. Les prochaines auront pour thème la politique et le droit, puis la presse et le droit.

Mathieu-Robert Sauvé


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