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Côte-des-Neiges n'est pas le Bronx de Montréal

Le GRES a fait de ce quartier multiethnique son laboratoire de recherche.

Au coeur du quartier Côte-des-Neiges, l'école primaire Bedford, de la Commission des écoles protestantes du Grand-Montréal.

Avec ses 90 000 habitants d'origine jamaïcaine, russe, vietnamienne, africaine, cambodgienne, libanaise, sud-américaine, tamoule, juive, franco- et anglo-québécoise, le quartier Côte-des-Neiges constitue un excellent laboratoire de recherche en ethnicité.

Le Groupe de recherche Ethnicité et société (GRES) en a d'ailleurs fait son terrain de recherche en y réactualisant l'approche dite de "l'école de Chicago", une approche de sociologie urbaine misant sur la microethnicité.

Le quartier Côte-des-Neiges à Montréal. Les interfaces de la pluriethnicité, collectif, Paris, Éditions L'Harmattan, 1997, 40,95$.

Au cours des dernières années, les chercheurs du GRES et du Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal (CEETUM) ont effectué une dizaine d'études dans ce quartier multiethnique. Ces recherches font l'objet d'un ouvrage collectif qui était lancé au congrès de la Société canadienne d'études ethniques: Le quartier Côte-des-Neiges à Montréal. Les interfaces de la pluriethnicité.

"Les immigrants ne doivent pas être abordés 'comme des proto-Canadiens en devenir'", écrit dans l'introduction Deirdre Meintel, principale directrice de cet ouvrage avec Vicor Piché, Danielle Juteau et Sylvie Fortin. "L'installation des immigrants entraîne une transformation du tissu social urbain et national. Notre étude de quartier prend comme point de départ la prémisse selon laquelle l'ethnicité est avant tout une question de frontière entre groupes et s'inspire des approches constructivistes de l'ethnicité où ses marqueurs, sa pertinence sociale et politique sont susceptibles de transformation à tout moment."

 

Construction médiatique

En plus de son caractère multiethnique, le quartier Côte-des-Neiges est surtout connu pour son taux de criminalité élevé, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le premier texte du volume donne le ton à l'ensemble de l'ouvrage en montrant comment cette perception résulte d'une construction médiatique biaisée.

Myriame El Yamani a analysé le contenu de 132 articles de presse publiés sur ce quartier en janvier et en juin 1993. Selon la chercheuse, le fait de considérer Côte-des-Neiges comme le "Bronx de Montréal" - qui abrite, soit dit en passant, l'Université de Montréal! - est "une perception exagérée mais partagée par l'ensemble des journaux étudiés". Des 132 articles, 55 (41%) traitent de criminalité, 10 d'affaires policières, mais seulement 6 de relations ethniques et 2 d'économie. Et lorsqu'il est question de culture, c'est pour donner une image "folklorisée" des groupes ethniques.

"Aucun article, décrivant la criminalité, ne parle des rapports de ce quartier avec la justice, seul l'aspect des actes de violence est retenu, observe Mme El Yamani. [...] Outre le fait que Côte-des-Neiges soit montré comme un quartier où il ne fait pas bon circuler, la manière dont les quotidiens relatent les rapports majoritaires/minoritaires finit par inculquer dans l'imaginaire des lecteurs et des lectrices la vision d'un réel ghetto ethnique. [...] C'est comme si les médias traçaient les limites de la multiethnicité montréalaise en ne rendant visible que certaines minorités qualifiées de 'à problèmes'."

D'autres chercheurs ont déjà montré que ce sont habituellement les communautés les mieux intégrées qui obtiennent plus de visibilité dans les médias, ce qui illustre d'une autre façon le parti pris à l'égard de Côte-des-Neiges. Les perceptions qui découlent de l'ensemble des analyses médiatiques sur ce quartier apparaissent à l'auteure comme "dénuées de véritables ancrages dans la réalité quotidienne de ses habitants. [...] L'image construite par les médias est une image biaisée qui accentue le pathos et le dysfonctionnel", conclut Myriame El Yamani.

La chercheuse examine entre autres le cas de Trevor Kelly, un résidant d'origine jamaïcaine tué par la police en 1992. Gladys Symons, professeure à l'ENAP, nous apprend dans un autre texte que l'inspecteur-chef du poste auquel était rattaché le policier responsable de cette mort a reçu, deux ans plus tard, une plaque honorifique de S.O.S. Racisme pour "son courage et son travail professionnel auprès de la communauté noire". Un fait ignoré des médias!

Outre les six auteurs déjà mentionnés, l'ouvrage collectif comporte sept autres textes de chercheurs du GRES ou du CEETUM: Josiane Le Gall, Pierre Legendre (Sciences biologiques), Christopher McAll, Sylvie Paré, Bruno Ramirez (Histoire), Jean Renaud et Pierre Joseph Ulysse.

Leurs recherches traitent d'histoire, de statistiques, de localisation résidentielle, d'entrepreneurship, de contrôle social, de rapport majorités/minorités, d'appropriation territoriale et de la contradiction insertion/exlusion.

Daniel Baril


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