Médecine dentaire à l'heure de la R-D |
Trois projets brevetés, dont un en voie de commercialisation. |
À l'avant-plan, Richard Taché en compagnie de Sylvia Zalzal, adjointe de recherche. Debout derrière, Antonio Nanci et Jean Barbeau. L'équipe examine une image d'implant dentaire sur l'écran d'un des trois microscopes électroniques qui font l'orgueil du Laboratoire de recherche sur les tissus calcifiés et les biomatériaux. |
Les efforts investis par la Faculté de médecine dentaire depuis une quinzaine d'années pour développer la recherche sont en train de porter leurs fruits. Au moins trois grands projets de recherche ont déjà abouti à des réalisations brevetées qui auront un impact important dans le domaine de la dentisterie et même au-delà de ce secteur.
Alors qu'un premier noyau de chercheurs s'était constitué dans les années 1960, le soutien accru et continu apporté par les différentes administrations de la dernière décennie fait que la Faculté se classe maintenant, bon an mal an, deuxième ou troisième au Canada pour ce qui est des subventions de recherche. Elle est par ailleurs la plus grande au pays en ce qui concerne le nombre d'étudiants.
"La portée de nos recherches dépasse le cadre de la médecine dentaire, souligne le Dr Antonio Nanci, directeur du Laboratoire de recherche sur les tissus calcifiés et les biomatériaux. Des recherches sur les tissus minéralisés comme les dents ont des retombées sur le traitement d'autres maladies osseuses. Des recherches sur la désinfection des conduites d'eau des appareils de dentisterie trouvent des applications dans l'industrie laitière. La santé buccale est d'autre part un bon indicateur de ce qui se passe ailleurs dans le corps et nous ne nous occupons pas que des problèmes dentaires mais de la santé en général."
Parmi les recherches dont parle Antonio Nanci, celle portant sur la décontamination des conduites d'eau est l'une des plus avancées et la commercialisation des produits qui en découlent est envisagée à court terme.
"Les microtubulures des appareils de dentisterie sont des lieux propices à la prolifération de bactéries à cause de l'eau qui y stagne", explique le Dr Jean Barbeau, responsable de ce projet. La concentration de bactéries peut atteindre un niveau 400 fois supérieur à celle de l'eau potable!
Les dispositifs de décontamination existant sur le marché présentent de nombreuses faiblesses, notamment un risque de contamination par le désinfectant ou le développement d'une résistance chez les bactéries.
Un appareil mis au point par les Drs Jean Barbeau et André Prévost - appelé appareil de contrôle de contamination microbiologique (ACCM) - permet d'éviter ces problèmes. Comme la décontamination se fait de nuit, lorsque les instruments ne sont pas utilisés, le désinfectant ne vient jamais en contact avec le patient. De plus, les chercheurs ont conçu un décontaminant unique qui non seulement tue les bactéries mais détruit le biofilm produit par les bactéries pour se fixer aux parois des tubulures.
"L'Association dentaire canadienne a fixé l'objectif de qualité de l'eau des unités de dentisterie à moins de 200 bactéries par centimètre cube pour l'an 2000, poursuit Jean Barbeau. Avec notre procédé, l'eau qui sort est aussi propre que l'eau qui entre."
Le désinfectant, dont certaines composantes sont utilisées dans les dentifrices, est non toxique pour l'environnement et a franchi l'étape préalable (le PCT) à l'obtention du brevet international. L'ACCM en est pour sa part au stade du perfectionnement technique.
"Au-delà d'une conception de tuyauterie, la principale portée de nos recherches est d'avoir permis de comprendre le phénomène de la fixation bactérienne par microfilm. Cette compréhension fait que nos travaux peuvent trouver des applications dans plusieurs autres domaines, notamment pour traiter les biofilms sur les tissus mammaires de vaches laitières." La collaboration du Dr Barbeau a d'ailleurs été sollicitée de ce côté.
Un deuxième projet de recherche de la Faculté de médecine dentaire aura des retombées intéressantes pour un large public. Tous ceux qui possèdent des prothèses sur implants dentaires pourront très bientôt bénéficier d'une innovation réalisée par le Dr Richard Taché.
"Les prothèses sur implants actuellement sur le marché permettent aux porteurs de retrouver 80% de leur activité masticatoire, souligne-t-il. Mais elles présentent des problèmes pour l'entretien et pour l'hygiène buccale."
Ces prothèses sont amovibles et l'armature des attaches fixées aux implants crée des endroits difficiles à nettoyer et propices à la prolifération de bactéries responsables de maladies parodontales elles-mêmes responsables de la perte des dents. De plus, la personne ne peut enlever seule la prothèse; elle doit pour cela recourir à un dentiste.
Avec le modèle élaboré par le Dr Taché, toutes les pièces de l'armature sont dans la prothèse elle-même si bien que lorsqu'elle est retirée il ne reste dans la bouche que la partie des implants émergeant des gencives, ce qui ne gène en rien l'hygiène buccale. La stabilité de cette prothèse est plus grande que celle des prothèses traditionnelles et, autre important avantage, le porteur peut la retirer lui-même sur simple pression de deux boutons dissimulés sous les dents.
"Certains de nos patients portent cette prothèse depuis quatre ans, fait remarquer Richard Taché. Nous n'avons eu aucune pièce à changer et aucun problème de santé buccale ne s'est présenté."
Les brevets canadien et américain sont déjà obtenus et le Dr Taché a bon espoir de voir son produit sur le marché d'ici six mois à un an.
Le Dr Antonio Nanci a pour sa part travaillé à la sélection de protéines induisant la formation et la réparation de tissus minéralisés, soit les dents et les os. En collaboration avec Marc McKee et James West, il a mis au point une méthode pour recouvrir les implants dentaires d'une couche de ces protéines afin de faciliter la régénération de l'os et la cicatrisation de la gencive.
"Il y a deux façons de procéder à un tel revêtement, explique le chercheur. On peut tremper l'implant dans une solution de protéines, mais rien n'empêche sa dispersion dans l'organisme. La méthode que nous avons conçue permet de lier la protéine de façon covalente à l'implant." Pour cela, on nettoie l'implant de ses oxydes et contaminants et l'on réoxyde la surface de façon contrôlée afin qu'elle offre un ancrage maximum à la protéine.
Actuellement, la pose d'un implant doit se faire en deux étapes et la cicatrisation prend au total de quatre à six mois. "Notre espoir est de réduire à court terme de moitié ce temps de cicatrisation. À long terme, nous espérons pouvoir le réduire beaucoup plus."
Le recouvrement biologique utilisé dans cette recherche a franchi le cap du PCT et une demande de brevet américain est en cours.
Le Dr Nanci travaille également sur un autre projet de recherche, en collaboration avec le Dr Paul Brazeau du pavillon Notre-Dame, visant à prévenir la perte des dents et à restaurer les tissus perdus à la suite de la maladie parodontale.
L'amorce de ces projets de recherche à la Faculté de médecine dentaire a pu se faire grâce aux défunts programmes d'investissement public à la recherche offerts un certain temps par le gouvernement. Sous l'impulsion du travail du Dr Denis Forest, ces programmes ont par la suite permis d'ouvrir les portes à d'autres types de collaboration entre la Faculté et l'industrie.
Theratechnologies est l'un des partenaires de la Faculté qui a pris la relève et a permis l'essor de la recherche. L'entreprise a récemment réaffirmé son intention de poursuivre les efforts en vue de la commercialisation des produits découlant de ces quatre projets de la Faculté de médecine dentaire.
"La collaboration avec Theratechnologies est l'union parfaite entre l'industrie et l'université, estime le Dr Nanci. L'entreprise s'occupe de la partie commercialisation alors que la Faculté conserve un rôle dans l'évaluation clinique des produits."
Le directeur du Laboratoire, qui se félicite par ailleurs de la bonne entente entre chercheurs et cliniciens, entend associer ces derniers à la gestion des projets d'expérimentation et d'évaluation des produits de la recherche.
Daniel Baril