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Renseignements personnels et recherche scientifique

Les façons de protéger les données varient beaucoup d'un pays à l'autre.

Quatre points de vue sur la vie privée: Martin Hébert, Jean Joly, Stuart Horner et William Lowrance.

La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean est souvent décrite comme un "laboratoire génétique" de par certaines caractéristiques de sa population: grande incidence de maladies génétiques, population homogène, isolement géographique, archives démographiques fiables... Cela signifie-t-il que les dossiers médicaux des porteurs de gènes désignés peuvent circuler librement dans les banques de données mondiales?

Actuellement, c'est un comité d'éthique de la recherche du Centre hospitalier de la Sagamie qui est chargé d'approuver les protocoles de recherche sur cette population et donc d'autoriser l'ouverture de certains dossiers. Mais la composition et le mandat de ce comité de sept personnes dont aucune n'a de véritable formation en éthique soulèvent des interrogations.

"Les recherches en génétique posent des problèmes sérieux, car elles s'appuient sur de l'information personnelle qui concerne non seulement les individus mais aussi leurs frères, leurs soeurs, leurs parents et même leurs ancêtres et leurs descendants..." signale Jean-Noël Ringuet, professeur de philosophie et membre du comité en question.

En matière de protection des renseignements personnels, M. Ringuet se demande si l'on peut vraiment se fier à ce genre de comité dont la composition est variable et le mandat plus ou moins précis. D'ailleurs, depuis sa constitution, aucun projet de recherche n'a été rejeté. Tout au plus a-t-on donné aux candidats des autorisations conditionnelles.

 

Consentement impossible

Cet exemple en dit long sur la façon dont l'information personnelle peut être traitée au-dessus de la tête des citoyens. Mais ce problème est loin d'être propre au Québec.

Selon le professeur Stuart Horner, président du comité d'éthique de l'Association médicale britannique, il est "généralement impossible" de s'assurer du consentement des sujets figurant dans les banques de données épidémiologiques. L'association qu'il représente estime que les lois actuelles sont "totalement insatisfaisantes".

Plus grave encore, ce professeur de l'Université du Lancashire estime que la pire menace à la vie privée ne viendra pas du bureau de crédit ou de la compagnie d'assurances. La menace est "intérieure, car elle provient de la divulgation non autorisée de renseignements au sein du système de santé lui-même".

Le professeur Horner s'exprimait ainsi dans le cadre d'un atelier de la conférence internationale sur la vie privée, qui s'est tenue à Montréal du 23 au 26 septembre, et auquel M. Ringuet assistait à titre d'auditeur. Même si les propos de M. Horner dépeignaient la situation dans le pays qu'il représente, ils résument bien les présentations des deux autres conférenciers et du président d'atelier, l'avocat Martin Hébert.

Selon ce dernier, on ne peut pas compter sur la science pour "s'autolimiter" et pourtant des limites s'imposent afin d'éviter les dérapages. "Il serait illusoire de croire que les orientations privilégiées de la recherche sont neutres et sans effet", a-t-il dit.

Parmi les utilisations courantes et problématiques: la constitution de banques de données, leur croisement, leur fusion et l'utilisation secondaire de celles-ci. Et cela ne touche pas que les recherches médicales. En sciences humaines, on fait également bon usage des banques de données.

Outre M. Horner, les organisateurs de la conférence avaient invité deux personnalités chargées par des autorités gouvernementales d'élaborer des lignes directrices pour guider les chercheurs dans le dédale des bons et des mauvais usages: William Lowrance, conseiller en politique de santé, et le Dr Jean Joly, directeur du Département de microbiologie et immunologie à l'Université de Montréal.

Le Dr Joly travaille depuis trois ans à un code d'éthique sur la recherche sur l'être humain qui sera rendu public en janvier prochain, et M. Lowrance a fait de même pour le Département de la santé des États-Unis. Son rapport a été présenté en mai dernier.

 

Guider sans entraver la recherche

Selon le Dr Joly, qui prenait résolument le parti des chercheurs, "il serait extrêmement difficile de mener d'importants projets de recherche sans avoir accès à des renseignements privés conservés dans des dossiers personnels ou révélés grâce à des méthodes d'utilisation secondaire ou de fusion de données."

Ces recherches se justifient par l'amélioration de la qualité de la vie, signale-t-il, car elles ont permis le développement constant des connaissances en épidémiologie, génétique, histoire et politique. "Il est de toute évidence dans l'intérêt du public d'autoriser les chercheurs à avoir accès à des renseignements confidentiels lorsque leurs projets visent à approfondir les connaissances et à atteindre plusieurs objectifs sociaux, tels que la création de programmes de santé publique ou le maintien de méthodes démocratiques."

Se situant à mi-chemin entre les deux points de vue, celui du chercheur réfractaire aux entraves et celui du citoyen alarmiste, William Lowrance a expliqué que la difficulté des organismes publics qui doivent élaborer des politiques de santé se situe précisément à cet endroit. "Il y a deux défis: protéger la vie privée et préserver la recherche que l'on considère comme justifiée."

Dans le rapport sur la question qu'il a déposé au ministère américain de la Santé, il signale que deux catégories de données circulent actuellement. Il y a les données de base sur la santé (statistiques sur les naissances, la mort, l'adoption, les maladies, les prescriptions, etc.) et les données spéciales comme celles relatives à la santé mentale, aux comportements déviants (agressions, pédophilie), à la consommation d'alcool ou de drogue, aux MTS, au sida, etc.

Mais même si la distinction faite entre ces deux catégories est importante, une protection universelle des renseignements est souhaitable, estime l'auteur. Oui, on peut permettre l'utilisation de ces données pour certaines recherches, mais non sans exiger des garanties formelles sur l'usage qu'on en fera. Dans tous les cas, il faut "cultiver une atmosphère de respect pour la vie privée des gens qu'on étudie".

Mathieu-Robert Sauvé


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