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Ces réseaux qui nous organisent...

Dix-sept chercheurs français et québécois publient un ouvrage sur la question.

Le doyen Michel Gariépy entouré des professeurs Paul Lewis et Jacques Fiset, tous deux de l'Institut d'urbanisme.

Le citoyen s'éveille au son d'un réveil branché sur le réseau électrique. Il emprunte le réseau de transport en commun, circulant sur un réseau routier. Toute la journée, il fera usage du réseau téléphonique, voire du réseau Internet, sans oublier son réseau de contacts. Tout ceci l'aide à fonctionner en société, mais il y a un prix à payer.

"Les réseaux, en s'organisant, nous organisent", résume le doyen de la Faculté de l'aménagement, Michel Gariépy. Au terme d'une étude de deux ans menée conjointement avec 16 autres chercheurs québécois et français, M. Gariépy est au nombre des auteurs d'un livre qui vient de paraître chez L'Harmattan: Ces réseaux qui nous gouvernent?

Ce sujet est bien plus concret qu'il en a l'air. Que l'on parle d'électricité, d'aqueducs ou de télécommunication, chaque réseau a une origine , un développement et un déclin qui résultent de choix parfois déchirants. Pourquoi a-t-on préféré l'hydroélectricité à l'énergie nucléaire? Pourquoi le réseau électrique nord-américain fonctionne-t-il sur 110 volts et non sur 220 volts? Faut-il privilégier la fibre optique, la câblodistribution, la téléphonie sans fil? En dépit des considérations économiques, ces choix ne sont jamais neutres.

"Lorsque des ingénieurs construisent un réseau, écrivent les responsables de l'ouvrage - Michel Gariépy et un directeur de recherche au CNRS à Paris, Michel Marié -, ceux-ci n'agissent pas en terrain neutre, dans un espace cartésien dénué de toute propriété, de toute singularité. Cet espace est au contraire chargé d'humanité, d'imaginaire et de symboles. Autrement dit, pour qu'un espace soit livré à l'hydraulique, à l'assainissement, au métro, il ne suffit pas qu'il soit construit. Encore faut-il qu'il ait été travaillé par le sens que lui donnent les gens, les savants, les techniciens, les banquiers, les élus, les habitants."

 

Un nouveau service public

C'est en quelque sorte la démocratie qui s'exprime à travers la mise en place des réseaux. Le modèle québécois d'évaluation des impacts environnementaux qui précède les nouveaux projets hydroélectriques fait par exemple l'envie des observateurs français. "Ils sont impressionnés par ce qui se fait ici, note M. Gariépy. Le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) est pour eux un véritable modèle de concertation."

Selon M. Gariépy, qui s'est longuement penché sur ce sujet, l'organisme consultatif perd cependant des plumes depuis quelque temps, de sorte que l'évaluation des impacts environnementaux est balayée par le vent néolibéral favorisant les projets à courte vue. Par exemple, la limite minimale d'une étude par le BAPE étant fixée à 10 mégawatts, plusieurs projets sur les tables à dessin concernent des centrales de 9,5 mégawatts...

À cause des pressions politiques, notamment des autochtones, les mégaprojets du type Grande-Baleine ont peu d'avenir au regard de la pléthore de petites centrales régionales qui verront vraisemblablement le jour d'ici une décennie et dont l'impact est plus néfaste sur les écosystèmes. "C'est la notion de service public qui est redéfinie, dit Michel Gariépy. Veut-on d'une société d'État qui vend de l'électricité aux Québécois à bas prix ou une entreprise qui exploite la ressource afin d'exporter de l'énergie dans les pays voisins?"

Si le BAPE est pour les Français un modèle de consultation publique, la France gère son réseau hydrique d'une manière que le Québec devrait imiter. Le bassin versant y constitue l'unité de référence, ce qui permet une gestion globale de l'eau.

Par comparaison, sur nos quelques arpents de neige, les plans d'eau peuvent relever du ministère des Ressources naturelles, des Affaires municipales, de l'Environnement, du Tourisme ou d'un autre ministère quand ce n'est pas le gouvernement fédéral qui en revendique la responsabilité. "Ici, on parle d'une gestion intégrée par bassin versant depuis 25 ans, dit M. Gariépy. C'est une réalité depuis 10 ans en France."

 

Ouvrage multidisciplinaire

Véritable travail d'"anthropologie des réseaux techniques", selon l'expression du doyen Gariépy, l'ouvrage franco-québécois a été rédigé par des professeurs reconnus pour leur multidisciplinarité. En plus de M. Gariépy, lui-même ingénieur et urbaniste, l'équipe comptait plusieurs urbanistes possédant une deuxième formation: Jacques Fisette (économie), Paul Lewis (géographie), Claire Poitras (histoire de l'art) et Jean-François Bibeault (économie et sciences techniques) pour ne nommer que les chercheurs de l'Université de Montréal (les deux derniers sont étudiants au doctorat). On comprendra que le mot "urbanisme" est ici employé dans son sens large d'aménagement du territoire.

Dans l'introduction, les auteurs insistent sur la méthode qui les a guidés, dite du "regard croisé". Les chercheurs français et québécois se sont rencontrés à trois reprises au cours de séminaires tenus à Montréal et à Paris. Les regards se sont croisés non seulement en fonction des territoires occupés mais également d'une discipline à l'autre. Cela n'a pas nuit à l'amitié qui s'est développée en cours de route.

"Cette méthode, peut-on lire, s'écarte de la comparaison internationale dans la mesure où non seulement elle accorde la plus grande importance aux éléments contextuels dans lesquels baignent les objets étudiés, mais encore elle demande que l'on fasse un certain travail de réflexivité sur le type de regard que l'on porte."

Mathieu-Robert Sauvé


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