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Les transporteurs endettés ont plus d'accidents

Quatre chercheurs du CRT l'affirment dans le Journal of Econometrics.

Robert Gagné

Les écrasements et autres accidents d'avion sont plus fréquents chez les petits transporteurs aériens en difficulté financière que chez leurs compétiteurs en bonne santé. C'est la conclusion à laquelle sont parvenus quatre chercheurs du Centre de recherche sur les transports (CRT) au terme d'une étude publiée récemment dans le Journal of Econometrics, une revue majeure en sciences économiques.

"Investir dans l'entretien et la sécurité, ça coûte cher et ça rapporte peu. Cela ne paraît pas, en tout cas, aux yeux des usagers, résume Robert Gagné, professeur à l'École des Hautes Études Commerciales et chercheur au CRT. C'est pourquoi les compagnies aériennes en difficulté financière sont tentées de couper dans ce secteur. Notre étude démontre que les accidents aériens sont plus fréquents chez ces transporteurs."

Alors qu'on serait porté à croire qu'un accident d'avion, souvent rapporté par les médias, nuit à l'image d'une compagnie et fait fuir les clients, c'est souvent le contraire qui se produit. "Les gens ont tendance à se dire qu'après un écrasement d'avion il ne s'en produira pas un deuxième de suite avec cette compagnie... Ce n'est pas la bonne façon de voir les choses."

 

Une donnée importante: l'état des finances

Grâce à une entente de confidentialité conclue entre les chercheurs du CRT (Georges Dionne, François Gagnon, Charles Vanasse et Robert Gagné) et les représentants de compagnies aériennes, celles-ci ont ouvert leurs livres de comptabilité. Après s'être engagés à ne pas montrer du doigt les compagnies "à risque", les universitaires ont pu élaborer une méthode de calcul tenant compte de la variable financière. Ils ont mis celle-ci en rapport avec les accidents survenus durant une décennie et, grâce à de savants calculs économétriques, ont conclu à un lien de cause à effet.

"À la différence des autres articles sur le sujet, la base de données de cet article inclut des chiffres précis sur l'état des finances des firmes et sur leurs dépenses en matière de sécurité [...], peut-on lire. Notre étude montre comment la structure financière d'une entreprise aérienne peut affecter son comportement en matière de sécurité et combien la dette versus l'équilibre budgétaire peuvent être reliés au nombre d'accidents."

La banque de données inclut 120 compagnies aériennes de propriété canadienne et l'ensemble des accidents survenus entre 1976 et 1987. Un accident est défini de la manière dont l'entend le Conseil de sécurité aérienne du Canada: de la défaillance du train d'atterrissage sans conséquence fâcheuse à l'écrasement qui fait des centaines de victimes.

"De façon générale, explique M. Gagné, les grandes compagnies ne sont pas en cause. Elles investissent de façon raisonnable dans la prévention, l'entretien et la sécurité de leurs appareils. Là où l'on peut s'inquiéter, c'est quand telle ou telle compagnie est menacée de faillite. Moi, je ne voyagerais pas dans leurs avions."

Un exemple éloquent: Nationair. Aux prises avec des ennuis financiers considérables s'ajoutant aux tensions patronales-syndicales, la compagnie a relâché sa vigilance en matière de sécurité. Résultat: un avion a décollé de la piste de Jedda après que le personnel eut signalé qu'un pneu était mou. Ce pneu a pris feu au décollage, puis les flammes se sont propagées à la soute à bagages quand le train d'atterrissage a été rentré. Tragédie aérienne.

 

Avant et après la déréglementation

À noter, la période étudiée précède la grande vague de déréglementation du secteur aérien, qui a ouvert la porte à une plus vive concurrence entre les transporteurs - et à de plus grands risques en matière de sécurité. Depuis 1988, en effet, les règles du jeu ont changé et les compagnies aériennes n'acheminent à Transports Canada que l'information qu'elles sont obligées de rendre publique. La situation financière ne figure pas parmi les obligations.

Selon M. Gagné, cette donnée peut pourtant servir aux fins de gestion du côté des inspecteurs aériens: la variable des sommes investies dans la sécurité et l'entretien des appareils devrait être prise en compte.

Pour le consommateur, il serait souhaitable de connaître la situation financière des compagnies aériennes afin de prendre une décision éclairée. Mais il ne faut pas trop y compter. Il s'agit dans bien des cas d'entreprises "privées".

M. Gagné a présenté à quelques reprises les résultats de cette étude à des gens de l'industrie. Leur réaction? "La moitié de la salle croit la chose possible; l'autre moitié la conteste avec force."

Mathieu-Robert Sauvé


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