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Polygamie et sens de l'orientation

Les déplacements urbains vus sous l'angle de la sociobiologie.

Isabelle Écuyer-Dab

Même si de telles données heurtent la rectitude politique sur l'égalité des sexes, plusieurs études convergentes ont déjà montré que les hommes ont de plus grandes habiletés visuo-spatiales que les femmes, ce qui les amène à avoir un meilleur sens de l'orientation.

Isabelle Écuyer-Dab, étudiante au doctorat au Département de psychologie, a voulu savoir si cette différence pouvait trouver une explication du point de vue évolutif.

Son étude, effectuée auprès de Montréalais âgés de 25 à 45 ans, a d'abord montré que les hommes parcourent, dans leurs déplacements quotidiens autres que ceux liés au travail, un territoire de 29 km2 contre 20 km2 pour les femmes.

L'étude indique également que plus les hommes performent aux tests d'habileté visuo-spatiale (tracer la ligne d'un liquide dans un verre incliné par exemple ou encore effectuer des rotations mentales d'un objet à plusieurs facettes), plus l'étendue de leur aire de déplacement est grande. Par contre, cette corrélation ne s'observe pas chez les femmes.

Territoire et partenaires sexuels

Isabelle Écuyer-Dab interprète ses résultats à la lumière de la sociobiologie. Cette approche néodarwinienne, plutôt rarissime au Québec, tente de mettre en évidence une origine génétique aux comportements humains en y recherchant un avantage reproductif. Selon cette théorie, si la sélection naturelle a retenu certains comportements au fil de l'évolution, c'est qu'ils représentaient un avantage pour la transmission de nos gènes.

Aussi étonnant que cela puisse paraître au premier abord, la corrélation observée plus haut devient, aux yeux de l'étudiante, un indice d'une possible polygénie (mâle s'accouplant avec plusieurs femelles) chez nos lointains ancêtres.

Pour les sociobiologistes, le mâle des espèces mammifères est "génétiquement incité" à rechercher le plus de partenaires possible parce qu'il peut se reproduire à chaque rapport sexuel. La femelle a par contre un potentiel reproductif beaucoup plus limité, ce qui l'incitera à rechercher la qualité du géniteur plutôt que la fréquence des rencontres.

Les biologistes ont observé que, chez certaines espèces polygynes ne vivant pas en société, les mâles couvrent plus de territoire que les femelles à la saison de l'accouplement, ce qui ne s'observe pas chez les espèces monogames. Le mâle ayant un meilleur sens de l'orientation couvrira un territoire plus vaste que son concurrent, ce qui l'amènera à rencontrer plus de partenaires et à diffuser plus largement ses gènes.

"Pour le mâle, un bon sens de l'orientation devient ainsi un avantage adaptatif, ce qui n'est pas le cas pour la femelle; c'est pourquoi nous ne retrouvons pas de corrélation entre habileté visuo-spatiale et déplacement chez la femme."

Les différences d'habileté visuo-spatiale seraient donc un vestige, sur le plan cognitif, de l'histoire évolutive de notre espèce. "Notre cerveau est le résultat d'un processus évolutif et il a gardé la trace de son passé", affirme la chercheuse.

Ces résultats s'ajoutent à de nombreuses autres données anatomiques et sociologiques, comme la dimension des organes sexuels du mâle et l'universalité de la polygamie à travers les âges et les cultures, qui incitent les sociobiologistes à croire que nos ancêtres étaient polygames.

Inné ou acquis?

La différence d'habileté observée entre hommes et femmes ne peut par ailleurs être imputée qu'à l'éducation. La directrice de thèse d'Isabelle Écuyer-Dab, Michèle Robert, a elle-même voulu cerner, il y a quelques années, la part de l'acquis dans ces différences. Partie de l'hypothèse que les étudiantes en sciences pures réussiraient aussi bien que les hommes les épreuves de visualisation spatiale, elle est arrivée à la conclusion que ces étudiantes performent mieux que les femmes en général, mais moins bien que leurs collègues masculins des mêmes disciplines.

Même si son approche n'était pas évolutionniste, elle reconnaît que ces résultats sont en parfaite concordance avec un modèle faisant intervenir un gène récessif (l'opposé d'un gène dominant) sur le chromosome X (commun aux hommes et aux femmes) pour expliquer ce type d'asymétrie. Selon les différentes combinaisons possibles, ce gène hypothétique aurait deux fois moins de chances de s'exprimer chez une fille que chez un garçon.

Isabelle Écuyer-Dab souligne par ailleurs que les femmes ont aussi leurs domaines d'excellence. L'apprentissage du langage s'effectue plus tôt chez les filles que chez les garçons, elles sont de trois à quatre fois moins affectées par les problèmes de bégaiement et de dyslexie, mémorisent mieux les configurations et les emplacements d'objets statiques et perçoivent mieux les nuances de couleurs.

Aux yeux des sociobiologistes, ces habiletés trouvent elles aussi une explication du point de vue évolutif. "Savoir où se trouvent les denrées que l'on a cachées et bien discerner les subtilités dans les formes et les couleurs était vital dans un environnement où confondre une plante pouvait signifier la mort, estime Mme Écuyer-Dab. Les habiletés verbales sont un avantage tout aussi vital pour transmettre ces connaissances aux rejetons." Dans l'environnement ancestral - comme d'ailleurs encore aujourd'hui! -, il est probable que cette fonction d'éducation incombait quasi exclusivement à la mère.

Pour Isabelle Écuyer-Dab comme pour les autres sociobiologistes, si un ensemble de gènes incite à un comportement, il est toutefois très rare que nos comportements soient totalement déterminés par la génétique. "Notre capacité d'apprendre, de symboliser et de réfléchir peut nous permettre de contrer certaines impulsions", affirme-t-elle. Rappelant que l'influence environnementale est aussi déterminante dans la construction de notre réseau neuronal, elle estime que l'opposition souvent établie entre nature et culture dans le domaine du comportement humain est un faux dilemme.

La sociobiologie est par ailleurs l'objet d'une vive controverse. Parce qu'elle contrecarre l'idée qu'il suffit de modifier son environnement social pour améliorer son sort, ses opposants l'associent à une idéologie de droite contribuant à justifier un ordre social.

"Il faut éviter de confondre science et morale, répond à cela Mme Écuyer-Dab. Expliquer une réalité ne constitue pas une légitimation du comportement sur le plan moral. Les recherches sur l'altruisme chez les animaux démentent d'ailleurs les craintes voulant que la sociobiologie serve à légitimer des comportements asociaux comme l'égoïsme, le sexisme ou le racisme. La nécessité des liens de coopération mise en évidence par la sociobiologie rejoint l'idéal humanitaire."

Les attaques contre la sociobiologie étant plus souvent idéologiques que scientifiques, certains n'hésitent pas à faire la comparaison avec la condamnation des thèses de Galilée. En 1640, il n'était pas politiquement correct de soutenir que la Terre tourne. Eppur', si muove!

Daniel Baril


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