Des «serrures cellulaires»
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Les travaux du Dr Michel Bouvier ouvrent la porte à un nouveau type de médicaments. |
Michel Bouvier |
Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, dit le proverbe. Mais c'était avant de savoir que des récepteurs cellulaires peuvent être à la fois ouverts et fermés.
Il ne s'agit pas d'un état quantique de la matière mais d'activité spontanée des récepteurs. Jusqu'à tout récemment, on croyait que ces portes par lesquelles la cellule est réceptive aux influences extracellulaires ne s'ouvraient que sous l'effet des hormones. L'équipe du Dr Michel Bouvier, directeur du laboratoire de pharmacologie moléculaire du Département de biochimie, a découvert que les récepteurs sont capables d'activité spontanée et peuvent être dans un état actif même sans stimulation hormonale.
"Selon la conception classique, les récepteurs sont vus comme des serrures dont les hormones sont les clés, explique le chercheur. En l'absence de son hormone spécifique, la serrure reste bloquée et la cellule demeure inactive."
Le dérèglement de cette mécanique peut entraîner des troubles comme l'hypertension lorsque trop de récepteurs d'adrénaline sont ouverts ou encore certaines formes de migraine chronique lorsque les récepteurs de la sérotonine (en cause dans la dépression) sont trop fermés. Plusieurs médicaments ont été conçus pour contrer ce type de dérèglements; les médicaments dits "antagonistes" bloquent les récepteurs, à la manière d'une gomme dans la serrure, et empêchent l'hormone de jouer son rôle; d'autres médicaments, les agonistes, miment l'action hormonale pour stimuler les récepteurs.
"On croyait que tous les récepteurs se comportaient selon ce schéma classique, reprend le Dr Bouvier. Mais nous avons découvert que certains récepteurs peuvent être ouverts même lorsqu'il n'y a pas de stimulation hormonale. On s'est également aperçu que certains médicaments antagonistes ont une double action; en plus de bloquer l'action de l'hormone, ils provoquent la fermeture des récepteurs déjà ouverts."
Selon le chercheur, cet effet jusqu'ici insoupçonné pourrait expliquer pourquoi certains médicaments utilisés dans le traitement de la défaillance cardiaque sont plus efficaces que d'autres. C'est ce que son équipe cherche présentement à clarifier.
Cette découverte, à laquelle ont également contribué les chercheurs Michael Denis et Peter Chidiac, ouvre du même coup la voie à un nouveau type de médicaments qui auraient un effet dit "agoniste inverse", c'est-à-dire qui favoriseraient la fermeture des récepteurs ouverts.
De tels médicaments s'avèrent particulièrement prometteurs dans le cas de certaines maladies génétiques entraînant l'ouverture spontanée des récepteurs, comme la puberté précoce chez le jeune garçon et la rétinite pigmentaire (dégénérescence des cônes et des bâtonnets).
Ces recherches s'inscrivent dans le cadre plus général de travaux portant sur les mécanismes moléculaires responsables de l'accoutumance aux médicaments. "Nous cherchons à comprendre pourquoi un récepteur finit par devenir moins réactif, entraînant la désensibilisation ou la tolérance à un médicament. En connaissant cette mécanique responsable de la baisse de réponse, on pourrait la prévenir et permettre aux médicaments de conserver leur efficacité."
L'équipe actuelle du Dr Bouvier travaille également sur un peptide qui empêche le regroupement des récepteurs par paires. On croit que ce couplage est nécessaire à leur efficacité. Le peptide en question, pour lequel une demande de brevet a été déposée en collaboration avec la firme BioSignal, est lui aussi un candidat pour la mise au point d'un nouvel agent thérapeutique pouvant inhiber l'action des récepteurs.
L'ensemble des travaux de Michel Bouvier lui ont déjà valu plusieurs honneurs. Après les prix de la Société canadienne d'hypertension, de la Société canadienne de recherches cliniques et du Fonds de recherche en santé du Québec, la Société canadienne de biochimie et de biologie moléculaire lui remettait, en juin dernier, le prix Merck-Frosst pour jeune chercheur. En janvier prochain, ce sera au tour de la Société québécoise d'hypertension artérielle de souligner le travail du Dr Bouvier en lui décernant également son prix du jeune chercheur.
Daniel Baril