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Quelle «histoire nationale»
faut-il enseigner?

La réforme de l'enseignement de l'histoire doit naviguer
entre les embûches du nationalisme et de la confessionnalité.

 
René Durocher, l'un des organisateurs et l'hôte du colloque, en compagnie de ses deux conférenciers vedette, Jacques Lacoursière et Paul Inchauspé.

L'historien Jacques Lacoursière est venu défendre son rapport sur la réforme de l'enseignement de l'histoire le 21 août dernier, au cours d'un colloque organisé par un regroupement de départements d'histoire et d'associations professionnelles.

Rappelons que le groupe de travail qu'il présidait a été mis sur pied par l'ex-ministre de l'Éducation Jean Garon afin d'analyser la situation de l'enseignement de l'histoire, d'établir les objectifs de cet enseignement et de déterminer les programmes obligatoires.

Son rapport, Se souvenir et devenir, a été quelque peu écorché par certains critiques qui y ont vu tantôt des intentions d'établir un «enseignement de l'histoire mur à mur», tantôt la dilution de l'«histoire nationale» dans la multiethnicité. Replaçant les choses dans leur contexte, Jacques Lacoursière a souligné que ses recommandations visaient «à assurer la continuité de l'enseignement de l'histoire, sans rupture, à partir de celle de sa région jusqu'à celle du monde».

Son rapport recommande en fait que 3 heures par semaine soient obligatoirement consacrées au bloc histoire-géographie-société au primaire, que 100 heures obligatoires par année soient consacrées exclusivement à l'histoire au secondaire et 45 heures obligatoires au collégial. Il recommande également que les programmes d'histoire accordent «une place équitable aux communautés autochtones, aux communautés culturelles et à la communauté anglophone au regard du rôle qu'elles ont joué dans l'histoire du Québec et du Canada».

L'absence du terme «histoire nationale» pour désigner l'histoire du Québec a heurté la susceptibilité de certains nationalistes. «En France, observe M. Lacoursière, on n'emploie jamais cette expression. Pas besoin d'utiliser les mots "histoire nationale" pour que l'histoire enseignée soit celle de la majorité, même si elle est ouverte à l'apport des minorités importantes. L'histoire nationale doit développer la fierté. Si c'est la fierté d'être québécois, on est accusé d'être séparatiste; si c'est la fierté d'être canadien, on est fédéraliste. On ne s'entend pas sur le terme et les enseignants sont piégés.»

Citoyenneté et religion

Paul Inchauspé, président du groupe de travail chargé de la réforme du curriculum scolaire formé dans le sillage des états généraux sur l'éducation, s'est moins encombré de ces considérations. Son rapport reprend, au chapitre de l'enseignement de l'histoire, plusieurs des recommandations du rapport Lacoursière et parle sans embûches d'«histoire nationale».

«En France et aux États-Unis, comme dans tous les pays occidentaux, l'histoire nationale constitue le centre de l'enseignement de l'histoire et cherche à répondre à la question "Qu'est-ce qu'être français ou américain?"» Il n'a toutefois pas précisé si l'enseignement de l'histoire devait chez nous répondre à la question «Qu'est-ce qu'être québécois?», même si à son avis cet enseignement doit viser à définir l'identité collective et à assurer la cohésion du groupe ou de la nation.

Cette cohésion, autrefois assurée par l'Église et la famille, est maintenant en dissociation, estime Paul Inchauspé. Il faut donc à son avis que l'école fasse une place à l'éducation à la citoyenneté et c'est dans le corpus du cours d'histoire qu'il est apparu le plus pertinent d'introduire cette formation.

«On ne pouvait pas la placer dans le cours de morale parce que ce cours n'est pas donné à tous les élèves. Il ne restait que le cours d'histoire, la ministre Marois nous ayant demandé de ne pas toucher à la confessionnalité.»

Cette consigne a visiblement agacé le président Inchauspé, ex-professeur de philosophie. «Nous avons un déficit en enseignement de l'histoire par rapport aux pays où l'enseignement religieux n'est pas pris en charge par l'école, a-t-il souligné. Ici, le curriculum est défini par le Comité catholique et le Comité protestant depuis 100 ans. Refaire le curriculum sans toucher à l'enseignement religieux, c'est comme essayer de marcher dans le métro quand tout le monde n'avance pas au même rythme.»

Il a toutefois laissé tomber que du «remue-ménage» est à prévoir de ce côté dans les prochains mois.

Les oublis

Christian Laville, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Laval et membre du groupe de M. Lacoursière, a adressé à son tour quelques critiques au rapport Inchauspé. Tout en louant les efforts visant à améliorer l'enseignement de l'histoire, le professeur a mis l'accent sur les oublis du rapport: le temps proposé pour l'enseignement de l'histoire lui paraît insuffisant, l'échéancier est trop lent, le niveau collégial est absent et le rapport reste muet sur la formation des enseignants déjà en poste.

«La réforme proposée sera achevée en 2005, a-t-il souligné. Elle devrait se faire dans un meilleur délai.» Quant au niveau collégial, il a signalé que 75 % des élèves terminent leur cégep sans avoir suivi aucun cours d'histoire. Un des seuls cours offerts dans cette discipline couvre «45 siècles en 45 heures»!

Reprenant le thème de l'histoire nationale dans un deuxième atelier, Paul-André Linteau, professeur d'histoire à l'UQAM, a d'emblée affirmé que l'histoire nationale devait être le cours d'histoire du Québec. «Il faut aborder l'histoire à partir de son milieu le plus familier, le Québec, a-t-il soutenu. Au Canada anglais, on présente le Canada comme une mosaïque de régions comparables, avec l'effet que le Québec perd son caractère distinct.»

L'enseignement de l'histoire devrait tout de même faire une place aux communautés culturelles et amérindiennes, «en évitant le piège de tout voir par la lorgnette de l'ethnicité».

L'ambitieux programme du colloque d'une demi-journée s'est poursuivi avec deux autres ateliers portant sur le cégep et la formation des maîtres. Sur ce dernier thème, Claude Lessard, de la Faculté des sciences de l'éducation, a émis l'opinion qu'il faudrait obliger les futurs professeurs d'histoire-géographie à faire un majeur en histoire et réserver le mineur à la géographie. Une proposition qui a eu l'heur de plaire à l'auditoire... composé de professeurs d'histoire.

Daniel Baril


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