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Sida: nouvel angle d'attaque

La découverte de Léa Brakier-Gingras a été brevetée aux États-Unis.

Quand on comprend les effets de la molécule TH 9407, qui vient d'être brevetée par le bureau responsable de la propriété intellectuelle aux États-Unis, on en a des frissons dans le dos. «Elle empêche le virus de proliférer, explique la biochimiste Léa Brakier-Gingras. Nous espérons donc que cette molécule empêchera la maladie de se développer.»

Aurait-on trouvé le remède contre le sida? Pas si vite, nuance la spécialiste de la biologie moléculaire. Il s'agit actuellement d'une découverte prometteuse, mais le médicament injectable n'est pas pour demain. Si le bureau américain des brevets lui reconnaît une valeur, c'est que cette découverte a pour cible la cellule hôte, non le virus lui-même. «Officiellement, ce qui a été breveté, c'est surtout un nouveau concept, explique la chercheuse. Il consiste en l'utilisation d'agents antisens qui interagissent avec l'ARN des ribosomes dans les cellules infectées. Cela bloque la réplication du virus.»

Pour comprendre les motivations de la chercheuse, il faut remonter plus de 30 ans en arrière. D'origine belge, Mme Brakier-Gingras a obtenu un doctorat en biochimie à l'Université de Montréal en 1968, où elle est professeure depuis 1970. Au cours de ses recherches, elle s'est intéressée au fonctionnement des ribosomes, ces organites qui servent de machines à décoder l'ARN messager pour le traduire en protéines. Il n'y a guère que quelques centaines de chercheurs dans le monde qui concentrent leurs recherches sur ce sujet.

«Quand j'ai commencé à m'intéresser aux ribosomes, on comprenait à peine leurs fonctions. On a cherché depuis à les décortiquer: de quoi sont-ils faits? Où commencent-ils et où s'arrêtent-ils lorsqu'ils traduisent un ARN messager? Comment contrôlent-ils la traduction?»

Opération ribosome

Nous en savons beaucoup plus aujourd'hui en biologie moléculaire que dans les années 1970. Pour élaborer son modèle, la Dre Brakier-Gingras a pu s'appuyer sur de nombreuses études portant sur la traduction des ARN messagers. «Le ribosome, qui est fait d'ARN et de protéines, glisse le long des bases du messager jusqu'à ce qu'il reconnaisse une séquence lui indiquant qu'il doit commencer la traduction. La production de la protéine commence quand cette séquence est reconnue.»

On sait que les bases (représentées par les lettres C, G, A et U) sont reconnues par les ribosomes en groupes de trois, les codons. Chaque codon désigne un acide aminé qui sert à fabriquer la protéine. Exceptionnellement, lors de la traduction d'un messager, le ribosome lit par erreur un groupe de deux bases à la place de trois, ce qui bouleverse toute la suite de la lecture. Or, c'est cette erreur de traduction qui se retrouve systématiquement dans le cas de la synthèse d'une protéine du virus de l'immunodéficience humaine (VIH).

On sait même à quel endroit se situe le «dérapage» du ribosome. Mais pour une raison obscure, personne n'avait cherché à exploiter cette particularité... avant Léa Brakier-Gingras.

«Le but de notre recherche, explique la chercheuse, était d'obliger le ribosome à ne pas commettre cette erreur. Nous voulions spécifiquement perturber le mécanisme de décodage particulier du virus. Le virus demeure donc présent, mais il ne peut fabriquer une protéine nécessaire à sa prolifération. Cela se fait grâce à une petite molécule, l'agent antisens, qui se lie à l'ARN ribosomique sans nuire à la cellule hôte.»

Actuellement, les traitements qui s'attaquent au sida tentent de bloquer l'activité enzymatique du virus. L'AZT, par exemple, bloque la transcriptase réverse. Or, le VIH est très mutant et peut rapidement fabriquer une transcriptase réverse résistante à l'AZT. Par conséquent, il faut rapidement et constamment améliorer les médicaments existants.

Le ribosome, en revanche, est très stable. Si la thérapie imaginée par Mme Brakier-Gingras et ses collaborateurs Pierre Melançon et Catherine Payant pouvait fonctionner, le remède serait plus définitif.

L'amour des ribosomes

Comme un joueur de hockey qui parle de son adversaire avec respect, la chercheuse a de bons mots envers le virus qu'elle cherche à anéantir. «Les virus ont énormément d'imagination comparativement aux cellules. D'un certain point de vue, un virus, c'est génial ou diabolique.»

Mais pour Mme Brakier-Gingras, ce sont les ribosomes qui sont les plus stupéfiants. Sans eux, la cellule est inactive, morte en quelque sorte. «Ils exercent un contrôle majeur sur ce qui se passe dans le cytoplasme. On les retrouve partout, de l'unicellulaire à l'organisme supérieur.»

La biochimiste parle presque avec tendresse de ces organites qui révèlent peu à peu leurs mystères. D'ailleurs, le brevet qui vient d'être délivré par le bureau américain ne l'émeut pas outre mesure, car il représente surtout, à ses yeux, une approbation pour aller plus loin. «Dans ce cas-ci, on parle de recherche appliquée, mais vous comprenez combien elle s'appuie sur la recherche fondamentale. Les deux sont très liées.»

Mais l'éventualité que ses recherches mènent un jour à la fabrication d'un médicament qui combattrait le virus - sous forme, par exemple, d'injection périodique - lui fait très plaisir. «Cependant, nous avons encore beaucoup de travail», dit-elle.

C'est la société montréalaise Theratechnologies (voir texte en page 5) qui détient la licence de commercialisation de cette recherche, en plus d'en assurer le financement avec le Conseil de recherches médicales du Canada.

Mathieu-Robert Sauvé


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