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Les automobilistes du Québec
sont «surtaxés»

Selon Robert Gagné, ils subventionnent l'industrie du camionnage.

Entre 1985 et 1995, l'État québécois n'a pas redistribué dans le système routier une part significative de l'argent perçu auprès des automobilistes. Cet écart, qui dépasse le milliard de dollars pour la dernière année, va même en s'agrandissant, constituant une source de revenus pour les coffres gouvernementaux.

Voilà du moins une des conclusions d'une étude menée sans tambour ni trompette par Robert Gagné, professeur à l'École des Hautes Études Commerciales et chercheur au Centre de recherche sur les transports, au moment où il entamait une année sabbatique l'automne dernier. «Il y avait longtemps que j'entendais dire, notamment par le CAA, que les automobilistes du Québec n'en avaient pas pour leur argent. J'ai donc voulu en avoir le coeur net.»

Avec l'aide d'une étudiante à la maîtrise, Carmen Cayouette, qui a rassemblé les données à partir des comptes publics du ministère des Transports, le spécialiste de l'économétrie appliquée est parvenu à chiffrer avec une certaine précision ce que plusieurs soupçonnaient.

«Il y a 10 ans, écrit-il, le gouvernement consacrait à l'entretien et à l'amélioration du réseau routier un montant équivalant à plus de 60 % des contributions des usagers. Depuis, on assiste à une lente et progressive diminution de cette proportion. Aujourd'hui, c'est moins de 50 % des contributions qui sont réinvesties dans les routes [...] Si on considère que l'écart observé en 1985-86 était équitable pour tous, on doit conclure qu'aujourd'hui l'État surtaxe les usagers de la route.»

Depuis une vingtaine d'années, ajoute en entrevue le jeune chercheur de 36 ans, le gouvernement québécois semble considérer que l'entretien des routes n'est pas une priorité. Résultat: un retard a été observé sur une grande partie du réseau et de longs tronçons ont dû être reconstruits intégralement. «Négliger d'entretenir une maison pendant quelques années implique souvent par la suite des travaux de rénovation majeurs qui n'auraient pas été nécessaires avec un entretien continu, explique Robert Gagné. Pour les routes, c'est la même chose.»

Automobilistes contre camionneurs

Il n'en demeure pas moins que le Québec est condamné à payer plus cher que ses voisins pour ses routes. Pourquoi? Parce que l'on trouve ici le plus long réseau de routes asphaltées au Canada et le climat le plus rigoureux d'Amérique du Nord. Les comparaisons avec d'autres États ou pays sont donc toujours faussées.

Par contre, il est possible d'étudier l'équité entre les utilisateurs de ce système routier. Il s'avère qu'en payant plus que leur part les automobilistes «subventionnent» un peu trop souvent l'industrie du camionnage.

Quand on additionne le kilométrage des deux groupes, on constate que les automobilistes «roulent» environ quatre fois plus au Québec que leurs collègues camionneurs. Leurs contributions (incluant permis, immatriculation, taxes de toutes sortes...) ne s'élèvent pourtant qu'à deux fois celles des camionneurs. À première vue, les automobilistes semblent donc avantagés par le système. Mais il ne faut pas oublier qu'un camion use beaucoup plus la route qu'une automobile. Une étude évalue que le passage d'un seul camion trop chargé peut équivaloir à 80 000 passages d'automobiles...

À la suite de savants calculs, l'auteur estime que chaque fois que le passage d'un camion équivaut à plus de 4,86 voitures, ce sont les automobilistes qui en font les frais. «En pratique, conclut l'auteur, on peut supposer qu'en moyenne les camions lourds circulant sur les routes causent des dommages au moins équivalant à 4,86 passages d'automobiles. Dans ces conditions, il ne fait pas de doute que les propriétaires de camions lourds sont subventionnés par les autres usagers de la route.»

Stimuler le débat

Considérant qu'«éclairer les débats publics» fait partie du rôle du professeur d'université, Robert Gagné a envoyé son article à quelques journaux. André Pratte, de La Presse, n'a pas tardé à communiquer avec lui. «Depuis, ça a "déboulé"», relate M. Gagné.

Entrevues à la télévision, lignes ouvertes à la radio. Les journalistes ont même interrogé le ministre des Transports, Jacques Brassard, sur les points soulevés par l'étude. Lui qui prévoyait imposer aux automobilistes une hausse des tarifs... «En tout cas, commente le chercheur, je peux dire que j'ai atteint mon objectif: soulever un débat.»

Se qualifiant lui-même de «pur produit» de l'Université de Montréal (seul son postdoctorat a été fait ailleurs, soit au Massachusetts Institute of Technology), Robert Gagné se spécialise dans la productivité et les progrès techniques dans les transports. Il mène simultanément plusieurs recherches sur la fraude à l'assurance et la sécurité dans les transports aériens. Le printemps dernier, il a fait partie d'un comité de spécialistes chargés d'étudier la question de l'avenir de l'aéroport de Mirabel.

À l'École des HEC, il enseigne l'économétrie, la microéconomie et les problèmes et politiques économiques.

Mathieu-Robert Sauvé


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